Livres Hebdo : Pouvez-vous présenter les éditions Héliopoles ?
Zoé Leroy : Les éditions Héliopoles existent depuis quinze ans, nous publions une vingtaine de livres par an et le chiffre d’affaires hors taxe de la maison était de 275 000 euros au dernier bilan en 2023. J'ai longtemps pensé qu'on était une petite maison indépendante, mais plus j'en rencontre, plus je me rends compte qu’on est une grande petite maison. Avec Christophe Brunet, nous sommes associés et nous avons une éditrice salariée, Lou Rivet, et une attachée de presse freelance, Brigitte Béranger qui a travaillé chez Lattès et Flammarion. Nous l’avons rencontrée quand elle partait à la retraite, on l'embauche pour tous nos ouvrages de littérature et cela lui fait un complément de salaire.
L’héliopole est une machine de guerre de l'Empire romain d’après le Dictionnaire de l'Académie française de 1878. Après, le terme disparaît. Comment en êtes-vous arrivés au choix de ce nom ?
Z.L. : Je suis très attachée à l'orthographe, et je cherchais un mot qui soit beau. « Helios », c'est le soleil et « Polis », la ville. Comme nous avons lancé la maison d'édition avec la collection de guides, la promesse des villes du soleil… nous avons commencé par les guides « S’installer à ». Mon associé, Christophe Brunet fantasmait de partir avec sa famille à Aix-en-Provence. Ils ont été y faire un tour mais en librairie il ne trouvait que des guides Un Week-end à Aix ou un Routard. Rien en revanche sur comment scolariser ses enfants, les prix de l'immobilier ou le tissu économique. Nous continuons cette collection, mais en variant les plaisirs avec des métropoles (Nantes, Marseille, Bordeaux, etc.), mais aussi des capitales internationales (Londres, Montréal, New York, Madrid…). Depuis le Covid, nous sommes revenus en France sur des territoires beaucoup plus ruraux.
Serge Safran : « Je propose les manuscrits en priorité à Héliopoles. Et s'ils n’en veulent pas, je vais me transformer en agent littéraire. Je dois faire des choix draconiens »
Vous publiez des livres comme Je suis auvergnat mais je me soigne.
Z.L. : On travaille avec de nombreux journalistes un peu partout en France. Yann Lukas qui s'est installé à Lorient, ancien rédacteur en chef de Ouest-France extrêmement ancré dans son identité bretonne, m'a proposé Je suis breton mais je me soigne et ça a très bien marché. Et on a décidé qu'on allait en faire une collection : Je suis auvergnat, normand, alsacien… On sort un Je suis solognot… en juin. C'est le type de produit qui existait dans des maisons locales, mais un éditeur parisien qui s'intéresse à des problématiques locales, il n'y en a pas beaucoup, donc on fait du multilocal.
Vous avez publié 16 romans depuis 2019. Cette collection « Littérature » continue ou est-elle remplacée par la collection Serge Safran ?
Z.L. : On continue… Mais la littérature c'est quand ça nous plaît, ça peut être cinq livres par an ou deux. On a sorti début avril L’Année du teckel de Pierre Mikaïloff, plus connu comme biographe de musiciens, un roman comique ou il est question d’un teckel et d’un journaliste people poursuivis par le RAID. Alors que pour Serge Safran la littérature est son fonds de commerce. Donc sa collection se sera quatre à cinq titres par an.
Serge Safran : Ce qui nécessite de faire des choix. Cette année ce sera cinq et l'année prochaine on verra. Je reçois deux ou trois manuscrits par la poste par jour et autant par mail, autant dire que j'ai des choix difficiles à faire. Je propose les manuscrits en priorité à Héliopoles. Et s'ils n’en veulent pas, je vais me transformer en agent littéraire. Je dois faire des choix draconiens. D’autant que certains auteurs avec lesquels j’ai travaillé depuis longtemps m'apportent également leur dernier manuscrit, je dois donc pouvoir dire à un auteur « D'accord, mais pour 2027 ».
Quelle est la nature du contrat qui lie Serge Safran et Héliopoles ?
Z.L. : Il y a deux contrats. Avec le premier Héliopoles a racheté le fonds Serge Safran. Donc tous les livres, tous les contrats… Et c’est une garantie pour ses auteurs. Nous rachetons donc les livres et les droits associés sur 150 livres. Et même s’il a dû pilonner de nombreux ouvrages, le transfert porte sur plus de 20 000 exemplaires. Le deuxième contrat, est un contrat de directeur de collection. Serge est physiquement dans nos bureaux et a une liberté absolue de ce qu'il publie. Il faut laisser une certaine liberté aux éditeurs et aux auteurs. Pas de faire n'importe quoi, mais de sortir le meilleur d’eux-mêmes. Donc la collection Serge Safran ce sera quatre à cinq livres par an. Cette année, il y en a cinq. Et si jamais un titre atteint 10 000 exemplaires, il y en aura un ou deux de plus l'année prochaine. Un de moins si c’est plus difficile… Mon but, c'est que la maison d'édition survive et poursuive sa croissance. Donc on intègre de la littérature avec précaution. Mais si Serge a décidé que son prochain roman c’est Allée des micocouliers de Laure Naimski que je ne connaissais pas du tout. Et bien nous le sortons le 17 avril prochain.
S.S. : C’est l’histoire d’une femme de 50 an qui se confie à son psy. Mais sur sa tombe, parce que le psy est mort. Dans l’esprit d’un certain humour juif. Laure Naimski a publié deux romans chez Belfond. J'ai eu son manuscrit par la bande et je le trouve très bon. J'aime bien publier quelqu'un pour la première fois, et un premier roman, encore plus. Quand j'ai quitté Zulma, nous n’avions pas publié de premier roman depuis six ans, une aberration sur le plan littéraire. Les plus gros succès de Serge Safran Éditeur, ce sont des premiers romans. Isabelle Stibbe avec Bérénice 34-44 par exemple. À tort ou à raison, le monde médiatique et les prix littéraires sont plus attentifs. Et il n'y a pas d'historique, donc personne ne dit : « Celui-là, je ne le vends pas ». Alors que maintenant il suffit d'appuyer sur un bouton pour savoir combien un auteur a vendu. La Fille d’Avignon, le premier roman de Francesca Rizzoni sortira fin août 2025. Je pense que c'est important dans une rentrée littéraire d'avoir un premier roman. Il y en certes 70 à la rentrée, mais un petit éditeur a quand même intérêt à en publier un au moment où l’attention se porte sur eux. Et j'ai déjà un autre premier roman en préparation pour janvier 2026.
Z.L. : Même si c'est compliqué de continuer à trouver des premiers romans et de suivre ses auteurs en même temps. Ils t'apportent le second, le cinquième, et tu as envie de les suivre. Et du coup, ça commence à faire un petit embouteillage en termes de sorties.
S.S. : C'est un peu difficile à gérer.
L’éditeur Serge Safran revient sur 50 ans de carrière
Serge Safran qu’est ce qui caractérise vos choix littéraire ?
S.S. : La meilleure qualité possible de littérature.
Z.L. : Moi je parlerais d’une belle écriture et de cul. Enfin disons plutôt de la sensualité et un peu de piment. Ce n’est pas un hasard si Serge a publié les Kama-sûtra (Zulma). Nous voulons d’ailleurs proposer de la littérature internationale, pour ouvrir notre catalogue, l'année prochaine, nous publierons des auteurs coréens. Pour l'instant, tous les livres qu’Héliopoles a publiés sont écrits par des auteurs français, des auteurs vivants, des auteurs qu'on adore. Avec Christophe Brunet, on a toujours gardé une part de notre temps pour aider nos auteurs à écrire. On ne prend pas le texte et on va l'imprimer. L'intérêt d'être éditeur, c'est d'accompagner un auteur.
S.S. : En septembre prochain nous sortons Meursault, le sursis, de Bernard Fauconnier. Je n'ai pas eu une virgule à changer. Un manuscrit impeccable, mais c'est très rare. Avant cela, dès le mois de mai, nous sortons Fermez vos gueules, les mouettes ! d’Olivier Maillart.
Z.L. : « Vos gueules, les mouettes », ça a existé c’est un film de Robert Dhéry qui a été un gros succès dans les années 1970. Mais l'auteur qui est d'une nouvelle génération, l’a entendu crier par la barmaid dans un café. Ça lui a paru génial, il l'a noté, il l'a mis dans son roman sans savoir que cette femme savait que c’était une citation tronquée. Une bande de profs va incinérer un ami à eux. Et quand on leur impose de le mettre dans un cimetière avec des chiens et des chats, ils refusent, volent l'urne et sont poursuivis par la famille. Une nuit délirante et cocasse entre la Côte d'Opale et les limites du fantastique.
Qu’en est-il de la distribution et de la diffusion d’Héliopoles ?
Z.L. : La diffusion-distribution est un élément très important. On donne son bébé à des gens qui vont expliquer à des libraires que c'est le plus beau bébé du monde. Sauf que des bébés, ils en reçoivent des cars entiers. Le représentant a 300 références à expliquer et le libraire 40 représentants à recevoir. Tout le monde est obligé de faire un premier tri, malheureusement. On est distribué par la Sodis qui a une très belle force de frappe. Et notre diffusion, c'est Géodif, qui appartient au groupe Eyrolles et a un réseau de représentants que je trouve formidable d'une quinzaine de personnes, et qui n’a pas un énorme portefeuille de maisons d'édition. On a travaillé avec d’autre diffuseurs et distributeurs. Mais ceux-là sont ceux qui correspondent le mieux à notre catalogue.
S.S. : Zoé a prévenu Géodif que j'arrivais. Ils n’ont pas tant de maisons de littérature et veulent développer le secteur.
Z.L. : Pour eux, c’est une opportunité. Parce que Serge a un nom. Serge a un fonds. Serge a une très fine connaissance de l'univers de l'édition et ça, c'est très précieux pour nous comme pour Géodif. C'est une chance d'avoir quelqu'un qui arrive avec une histoire (voir encadré).
Depuis La double personnalité du criquet de Jean-Pierre Poccioni, votre première collaboration qui est sortie en janvier, vous avez changé les couvertures, unifié la direction artistique entre les livres d’Héliopoles littérature et de la collection Serge Safran.
Z.L. : On a travaillé avec les représentants, les libraires, on leur a proposé plusieurs univers et ont leur a demandé « qu'est-ce qui vous plaît, qu'est-ce qui ne vous plaît pas ? »
S.S. : Je suis un élément perturbateur…
Z.L. : Tu as rajeuni de 20 ans d'un coup et nous, on s'est secoué les puces, et pas seulement quant aux couvertures.