Livres Hebdo : Quelle est la particularité de cette édition de Japan Expo ?
Thomas Sirdey : C’est assez incroyable, la programmation est très très dense. Dans le manga, les éditeurs se sont énormément mobilisés. Il y a un super événement autour de notre invité d’honneur Junji Ito. On a aussi le plaisir d’accueillir ces messieurs Kazuhiko Torishima, Katsuyoshi Nakatsuru et Toyotaro pour parler d’Akira Toriyama (Dragon Ball, Glénat). Oh!Great vient également pour les 25 ans de Pika. Il y a énormément de mangakas qui viennent du Japon, en plus des mangakas internationaux et français qui sont là en nombre. En anime c’est pareil, on a des événements chaque soir de la Japan Expo comme les 30 ans d’Evangelion en présence du coréalisateur d’origine, le réalisateur du film, et la chanteuse du générique cultissime. On en a dans tous les sens, et un peu plus de 500 invités cette année. On est à la fois excité mais aussi tendu par la préparation car il faut s’occuper de tous ces gens. Ça ne va pas être un exploit logistique mais presque, tout ça pour le plaisir des fans et on voit bien les réactions des gens. Ils accueillent les artistes avec bonheur et impatience. C’est hyper motivant pour nous.
Comment la Japan Expo a-t-elle évolué en 25 ans et aviez-vous une idée de cette ampleur à venir ?
Par rapport au début, on a structuré notre organisation. Aujourd’hui, on a quand même une équipe de 40 permanents qui travaillent toute l’année. C’est comme ça qu’on arrive à accueillir tous ces gens, à démarcher toutes ces entreprises, ces associations, et à avoir tous ces contenus. C’est grâce à cette équipe hyper soudée, hyper motivée et présente tout au long de l’année. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de salons qui ont plus de 40 employés à plein temps.
« La pop culture japonaise est aujourd’hui extrêmement validée »
Comparé au début, l'événement n’a plus rien à voir. On était étudiants, on voulait se retrouver entre fans dans un moment où les contenus japonais n’étaient pas appréciés comme ils le sont aujourd’hui. Mais nous avions la volonté de les ouvrir au monde extérieur, de les rendre les plus connus possible. Ça a toujours été notre leitmotiv et ça l’est toujours aujourd’hui, mais on est maintenant dans un environnement où la pop culture japonaise est extrêmement validée. Ça a complètement changé le paradigme. On a créé l’événement parce qu’on aime la pop culture japonaise et la partager avec un maximum de monde, mais ce n’était pas un projet d’entreprise. On ne s’est pas réuni au début en parlant d’investissements ni de business plans, ce n’était pas du tout la démarche. On fait, on y va, et on verra bien. On a eu cette chance incroyable de voir le festival grandir, que nos propositions faites au public ont plu, et que d’années en années, de plus en plus de gens sont venus et ça a permis au festival d’être ce qu’il est aujourd’hui.
Quels sont vos contacts avec les maisons d’édition tout au long de l’année ?
En ce moment on échange quotidiennement avec elles, on travaille main dans la main avec les maisons d’édition et avec tous les exposants. Ils construisent la programmation de leur stand, sur les salles et les scènes du festival. On travaille avec eux parce qu’on adapte aussi en fonction de leurs besoins les prestations que l’on peut leur fournir. On travaille aussi avec eux sur les expositions. Un jour on m’a dit que les salons étaient une grande œuvre de co-construction et je pense que Japan Expo en est la preuve. C’est l’ensemble des gens qui se mobilisent, éditeurs de livres, mais aussi éditeurs de jeux vidéo et d’animation. C’est une vraie co-construction entre eux et nous pour faire en sorte que le public en prenne plein les yeux et reparte avec une année souvenir jusqu’à l’édition d’après.
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Vous avez évoqué durant la conférence de presse « des temps compliqués pour le manga », avec un marché en baisse de 9 % en volume entre 2023 et 2024. Y a-t-il des conséquences sur la Japan Expo ?
C’est difficile à mesurer. Maintenant, il faut quand même relativiser sur le marché du manga. Certes, il s’est calmé après quelques années très fastes, mais il fallait qu’il y ait une forme de normalisation. Ça ne peut pas exploser tous les ans. Il peut y avoir des conséquences sur le marché qui, statistiquement ne sont pas grand-chose, mais humainement peuvent être très désagréables quand vous voyez toutes ces petites librairies qui se sont lancées dans l’aventure en profitant du boom, mais qui n’y arrivent pas aujourd’hui, c’est malheureux. Ce sont des gens qui luttent. Ce sont les conséquences malheureuses. Maintenant, comment les éditeurs s’activent aujourd’hui, comment ils participent sur le festival, le nombre de mangakas qui viennent, le nombre d’animations qu’ils ont prévues, on est encore dans une dynamique très positive. Le marché n’est pas en train de se retourner, il est plus dans une phase de normalisation. Et dans cette normalisation, quand il y a des gens qui souffrent, c’est malheureux.
« Ce sont des petits facteurs qui ont rendu les choses un peu plus difficiles, le marché se calme un peu »
La régulation est la seule raison de la baisse du marché selon vous ?
Il y a une grande affaire de normalisation, il y a aussi le pass Culture qui a diminué. Je pense que c’est un ensemble de petits facteurs comme ça. Quand vous regardez, on a de belles réussites en termes de licences. On a des beaux cartons dans le manga, donc les licences sont toujours porteuses. Il y a les apparitions des Spy x Family (Kurokawa), Dandadan (Crunchyroll), et les classiques comme One Piece (Glénat) toujours au firmament. Je ne pense pas qu’il y ait un tarissement d’intérêt pour le manga. Ce sont des petits facteurs qui ont rendu les choses un peu plus difficiles, le marché se calme un peu.
L’objectif d’affluence de cette Japan Expo est de 255 000 personnes. Donc objectif record ?
En même temps on ne va pas viser en-dessous ! Je ne sais pas si on va le faire mais on se fixe un objectif où on se dit que si on sort et qu’on a repris en croissance, c’est génial ! Objectivement aujourd’hui, tant qu’on voyage autour de 250 000 visiteurs, on est contents. On ne se met pas la pression de le remplir à tout prix, mais quand on se fixe un objectif, on ne vise pas en-dessous. Ce ne serait pas logique.
Il y a eu 200 000 visiteurs en 2024, contre 250 000 en 2023. Une baisse due au télescopage avec les Jeux olympiques de Paris ?
Vu qu’on est quand même parti pour retourner dans nos 200 000 et plusieurs dizaines de milliers de visiteurs, si on regarde les ventes aujourd’hui, c’est a priori la preuve que c’était l’effet JO qui a fait baisser notre fréquentation. D’une certaine manière, c’est rassurant pour nous. On va revenir sur quelque chose de plus normal nous aussi. Avec les JO, ça a été compliqué à la fois d’accepter qu’il y ait moins de monde qui puisse venir, mais aussi toutes les complications logistiques qui allaient avec. Il y en a une fois tous les 100 ans, il faut vivre avec et c’est tout. Il faut être philosophe, ça a aussi fait du bien.
« Dragon Ball a fait partie des premières licences manga qui ont contribué à la globalisation de ce genre littéraire »
Pour terminer, sur un des éléments de la programmation, c’était important pour vous de mettre en avant Dragon Ball après le décès en mars 2024 de son créateur Akira Toriyama ?
C’est important pour nous d’avoir des gens qui peuvent venir parler d’Akira Toriyama, de la création de Dragon Ball, et des carrières que les invités ont eues autour de l’œuvre. C’est une opportunité pour nous avec la venue de l’éditeur Kazuhiko Torishima, qui voulait parler de sa carrière avec Akira Toriyama. Pour en parler, il s’est fait accompagner par Katsuyoshi Nakatsuru et Toyotaro. Ce qui est spécial, vous avez quelqu’un qui est à la source, Kazuhiko Torishima, qui a vraiment participé à la genèse de l’œuvre, en plus de son immense carrière avec d’autres grands mangakas. Vous avez Katsuyoshi Nakatsuru, réalisateur du dessin animé qui travaillait sur Dragon Ball Z à l’époque et maintenant sur Daima. Et Toyotaro, dessinateur adoubé par Toriyama lui-même, pour faire Dragon Ball Super. On est dans une forme de complétude sur toute l’histoire de cette licence avec des gens qui ont à la fois participé à la licence mais aussi une carrière à eux au-delà de ça. C’est ce qui est magique, ils ont touché du doigt quelque chose d’incroyable, ils ont quand même réalisé plein d’autres choses aussi. C’est fascinant de voir comment ces gens absolument géniaux, nous ont fait rêver à tous les niveaux.
Vous personnellement, votre réaction quand vous apprenez la mort d’Akira Toriyama ?
C’est compliqué, mon manga d’enfance est Dragon Ball donc j’ai été évidemment extrêmement touché. C’est triste. À la fois car c’était soudain, il n’était pas si vieux, et à la fois parce qu’on a l’impression de passer à autre chose. Ce qui est finalement génial, c’est que son œuvre lui survit, il y a encore de l’actualité sur la licence alors qu’il est parti depuis déjà un an. Évidemment, quand vous avez une personne qui a eu cette importance-là dans votre parcours de vie, ça a un impact. Dragon Ball a fait partie des premières licences manga qui ont contribué à la globalisation de ce genre littéraire. On en a eu la preuve, tous les journaux du monde entier ont titré sur lui, c’était incroyable. Le partage d’émotions sur les réseaux sociaux, il y a une vague, c’est bien, on est capable d’avoir des mouvements d’émotion communs partout dans le monde. Le manga fait partie des choses capables de le générer. Ça prouve à quel point son œuvre a touché énormément de gens et à tous les niveaux. Il y a eu des hommages de politiciens, d’anonymes comme nous, de stars, tout le monde a des choses à dire sur Dragon Ball et sur la mort d’Akira Toriyama, c’est assez hallucinant.