Le 25 septembre 2025, la Cour d'appel de Paris a tranché le litige, qui opposait l’Agence France-Presse (AFP) à X (ex-Twitter) [N° RG 24/17260]. Il portait sur l'application du droit voisin (droit connexe au droit d'auteur) au profit des agences et éditeurs de presse, tel qu'il a été introduit en droit français par la loi du 24 juillet 2019, transposant la directive (UE) 2019/790. L'objectif de cette législation était d'assurer la rémunération des éditeurs et agences de presse pour l'utilisation en ligne de leurs publications par les services de communication au public en ligne, en vue d'opérer un meilleur partage de valeur et de rémunérer les investissements dans le journalisme.
Dans cette affaire, l'AFP avait assigné X devant le juge des référés pour obtenir la communication des éléments d'information nécessaires au calcul de l'assiette de sa rémunération, conformément à l'article L. 218-4 du Code de la propriété intellectuelle. L'ordonnance de première instance du 23 mai 2024, confirmée intégralement par la Cour d'appel, enjoignait à X de fournir un ensemble détaillé de données chiffrées et statistiques. Ces données incluaient notamment le nombre d'impressions des tweets de l'AFP et des tweets tiers comportant un lien vers l'URL du site web de l'AFP en France, le nombre moyen d'engagements (clics, retweets), les informations sur les règles d'impression, les données de data licensing, ainsi que le revenu publicitaire global de X en France et l'estimation des revenus indirects associés à l'utilisation des contenus de l'AFP.
Pallier le déséquilibre des rapports de force
X avait soulevé de multiples moyens tendant à démontrer l'existence de contestations sérieuses et donc le rejet de la demande de l’AFP pour qu’elle soit obligée de saisir une juridiction du fond avec des délais longs ; ce qui aurait été à l’avantage de X. Cette dernière contestait notamment la qualité de l'AFP comme titulaire du droit voisin et sa propre qualité de débitrice de cette rémunération, arguant qu'elle ne réalisait pas elle-même une « utilisation en ligne » des publications de presse.
La Cour a écarté ces arguments, relevant que l'AFP est expressément bénéficiaire du droit voisin en tant qu'agence de presse, et que X était tenue à l'obligation de communication du seul fait de sa qualité de service de communication au public en ligne, agissant à des fins commerciales en associant des publicités aux publications de presse. La Cour a également rejeté l'argument de X selon lequel l'AFP aurait consenti une licence gratuite via les conditions générales d'utilisation de la plateforme, rappelant que le dispositif du droit voisin a précisément été instauré pour contraindre les plateformes à rémunérer la presse et à pallier le déséquilibre des rapports de force. De même, les exceptions visant les utilisateurs individuels ou les très courts extraits n'ont pas été retenues en faveur de X, puisque la plateforme elle-même n'est pas un utilisateur individuel non-commercial, et l'injonction porte spécifiquement sur les messages comportant un lien vers l'URL de l'AFP, prenant ainsi en compte l'exception relative aux très courts extraits.
Obligation de communication des données
Concernant la conformité au droit européen, X avait avancé plusieurs griefs, incluant la violation de la Directive TRIS, du principe du pays d'origine (LCEN), de la libre circulation des services, et l'incompatibilité avec le Règlement sur les services numériques (DSA). La Cour d'appel a rejeté l'ensemble de ces moyens, statuant que la loi française est une transposition de l'article 15 de la directive 2019/790 et que l'obligation de communication ne constitue pas une obligation générale de surveillance ou de recherche d'activités illégales prohibée par l'article 8 du DSA. De plus, l'obligation de communication des données existantes n'est pas jugée de nature à restreindre la libre circulation des services. La Cour a par ailleurs confirmé que le texte français est suffisamment clair et que les recherches imposées ne sont pas démesurées. X disposant des outils d'analyse nécessaires (API) pour extraire les données brutes demandées, données qui sont jugées indispensables pour évaluer la rémunération, y compris les revenus indirects mentionnés explicitement par l'article L. 218-4 CPI.
En finir avec le pillage des contenus
Cette décision conforte ainsi le droit européen et les protections assurées aux éditeurs de contenus pour en finir avec le pillage des contenus des éditeurs et agences de presse qui permettait à certaines sociétés de s’enrichir sur le dos des autres tout en se proclamant les champions des libertés pour mieux piétiner le droit de la propriété intellectuelle. Et, c’est sûrement ainsi en imposant la force de régulations protectrices que les Européens et l’Union européenne pourront le mieux se défendre contre l’avidité de prédateurs sans foi, ni loi, dans cette jungle prédatrice où certains voudraient que ne règne que la loi du plus fort.