La Cour de cassation apporte une précision essentielle concernant l'application du dispositif d'étalement (ou lissage) de la hausse de loyer résultant du déplafonnement dans le cadre du renouvellement des baux commerciaux (3e civ., 16 oct. 2025, n° 23-23.834, FS-B). En effet, après 12 années de bail, correspondant à la période initiale de neuf ans, et d’une reconduction tacite de trois années, les loyers se trouvent déplafonnés et la tentation du bailleur est d’en profiter pour augmenter significativement le montant des loyers.
À cet égard, il est rappelé qu’afin d'éviter le déplafonnement, il est indispensable que le locataire fasse délivrer par exploit d'huissier (nouvellement commissaire de justice) une demande de renouvellement dans le but d'interrompre la durée du bail et de ne pas dépasser les 12 ans. Or, depuis la loi Pinel de 2014, un mécanisme juridique de lissage (ou d’étalement) a été instauré et est applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014. Ce mécanisme a pour objectif d'atténuer les hausses de loyer qui résultent d'un déplafonnement ou d'une révision.
Le lissage des effets de la hausse des loyers
Dans ce dossier, l'enjeu portait sur la question de savoir si le mécanisme d'étalement de la hausse du loyer, prévu par l'article L. 145-34 du Code de commerce, s'appliquait aux baux de neuf ans qui, par l'effet d'une tacite prolongation, se sont poursuivis pendant plus de douze ans et se trouvent, de ce fait, soumis au déplafonnement du loyer. La Cour a clairement affirmé que le lissage n'est pas applicable dans cette configuration.
Dans cette affaire, le bailleur avait donné des locaux commerciaux à bail à un locataire à compter du 1er octobre 2001. Par un arrêt du 21 janvier 2021, le prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2014 a été déplafonné en raison de la durée du bail expiré, supérieure à douze ans par l'effet de la tacite prolongation. Le bailleur a alors assigné le locataire en vue d’augmenter le loyer. En réponse, le locataire a demandé que les augmentations de loyer résultant du déplafonnement du loyer renouvelé ne soient pas supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
En effet, le dispositif de lissage de la loi Pinel permet que dans les hypothèses où la loi autorise un déplafonnement, la variation de loyer qui en résulte ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente. Pour les renouvellements de baux commerciaux, l'étalement est expressément prévu dans deux cas limitatifs : en cas de modification notable de certains éléments composant la valeur locative (les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité), ou lorsque la durée du bail est contractuellement supérieure à neuf ans, c’est-à-dire hors des cas de renouvellement tacite du bail commercial. Le lissage permet ainsi d'étaler l'atteinte de la nouvelle valeur locative sur plusieurs années consécutives.
Une application stricte des conditions
Par un arrêt du 14 septembre 2023, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence avait rejeté la demande du locataire en considérant que le dispositif d'étalement ne s'appliquait pas aux baux qui se poursuivaient par l'effet de la tacite prolongation pendant plus de 12 ans, bien qu'étant soumis au déplafonnement. Ce rejet a été confirmée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 16 octobre 2025.
Cet arrêt confirme que la règle du lissage décennal (ou plafonnement du déplafonnement à 10 % par an), instaurée par la loi Pinel de 2014 et régissant certaines hausses de loyer, est d'application stricte. La distinction fondamentale maintenue par la Cour repose sur la cause du déplafonnement. Si le déplafonnement résulte d'une durée contractuellement longue (supérieure à neuf ans par stipulation expresse dans le bail), le lissage à 10 % est applicable.
Alors que si le déplafonnement résulte d'une durée légalement longue (supérieure à 12 ans par tacite prolongation), le lissage n'est pas applicable.
L'arrêt du 16 octobre 2025 établit un principe clair : l'étalement de la hausse du loyer (lissage) après déplafonnement est une exception textuellement circonscrite qui ne s'applique pas lorsque le déplafonnement est la conséquence d'une poursuite du bail par tacite reconduction au-delà de 12 ans.
Protection réservée aux cas expressément prévus par la loi
En excluant l'application du lissage dans le cas de la tacite prolongation au-delà de 12 ans, la Cour de cassation confirme que la protection progressive contre les hausses brutales de loyer au renouvellement (le lissage) est réservée aux cas expressément prévus par la loi et ne s'étend pas à tous les cas de déplafonnement. Cette solution met en lumière la nécessité pour les parties de veiller à la durée contractuelle de leur bail pour bénéficier (ou s'exposer) aux mécanismes protecteurs (ou dérogatoires) du statut des baux commerciaux.
Alexandre Duval-Stalla
Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla
Alexandre Duval-Stalla est avocat au barreau de Paris et écrivain. Ancien secrétaire de la Conférence du barreau de Paris (2005) et ancien membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme, il est le président fondateur de l’association Lire pour en sortir, qui promeut la réinsertion par la lecture des personnes détenues, et du prix littéraire André Malraux.
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