En juin 2024 (lire encadré ci-dessous), nous avions rencontré Cécile Gaudineau. Toute jeune gérante de la librairie La Plume du page, dont elle partage la tête avec Adrian Grilhe, elle nous avait raconté ses débuts d'apprentie libraire puis ses premiers pas en tant que cheffe dans la boutique arpajonnaise, ses surprises mais aussi sa confiance en l'avenir.
Un an plus tard, la situation a bien changé. « La crise est passée par là. On a toujours autant de monde qu'avant, mais entre la baisse du panier moyen et l'augmentation des charges, notre chiffre d'affaires a été divisé par deux. Aujourd'hui nous ne faisons plus de marge et nous remboursons difficilement le prêt de la reprise », explique celle qui voit pourtant toujours « le verre à moitié plein ».
Cécile Gaudineau et Adrian Grilhe, cogérants de la librairie La Plume du page, à Arpajon.- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Le 2 octobre dernier, elle lance une cagnotte Ulule pour réussir à « passer cette période difficile ». Cécile Gaudineau n'est pas la seule. Selon le Syndicat de la librairie française (SLF), le chiffre d'affaires des librairies de l'Observatoire est en baisse de 3,2 % au premier trimestre 2025. Un contexte tendu qui ne facilite pas l'arrivée des nouveaux arrivants dans le secteur. « Cette année est aussi la seconde de notre apprenti, Nad. Nous refusons de devoir sacrifier sa scolarité pour survivre », écrivent les deux associés dans le texte accompagnant la cagnotte. Mais qu'en est-il pour les autres ? Quelle est la viabilité professionnelle de ceux qui veulent faire de la librairie leur métier ?
Jeunes libraires en formation à L'école de la librairie- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Déperdition
Fraîchement diplômé, Nikitas Gasnier a passé son brevet professionnel à L'École de la librairie (Maisons-Alfort). S'il est aujourd'hui en poste chez Libralire dans le XIe arrondissement de Paris, ce n'est pas le cas pour tout le monde : « Sur les 90 élèves de ma promo, un tiers sont partis en cours de route, un autre tiers - comme moi - a été gardé après la formation et un dernier alterne entre contrat court et chômage. Surtout, beaucoup abandonnent au bout de deux ans car il y a une trop grande distance entre ce que l'on imagine et la réalité ».
Sortie un an après Nikitas, Lauren Poulidor nuance : « Cela dépend de nos exigences. Il y a des embauches mais c'est difficile de choisir où l'on veut vivre. Ceux qui ne veulent pas déménager vont souvent travailler dans des espaces culturels Leclerc ou exercent un autre métier en attendant qu'un poste se libère ». La Limougeaude a ainsi dû aller jusqu'à Nice pour un CDI à la Librairie du Cap, pour lequel elle est payée au SMIC. « Ici le niveau de vie n'est pas le même que dans l'Est. Je dois vivre en colocation car je ne peux pas avoir plus avec mon salaire », confie-t-elle. « C'est sûr que le salaire proposé n'aide pas à s'insérer dans ce métier sur le long terme », analyse Julien Augustyn, libraire depuis cinq ans chez Litote en tête. Sur la dizaine d'anciens élèves avec qui il est toujours en contact, un seul est encore libraire. « Beaucoup ont subi trop de maltraitance en tant qu'employé, d'autres sont partis à cause de la paie ».
Donner du souffle à nos librairies
Parmi les différentes formations, L'École de la librairie propose aussi un parcours « Créer ou reprendre une librairie ». C'est celui que Nadège Menassier a suivi. « Les cours sont très complets et présentent bien tous les obstacles, pour autant je ne m'étais pas assez préparée à l'épreuve de la réalité ! » lance-t-elle.
Depuis sa sortie en 2024, la quinquagénaire a dû effectivement s'éloigner du terrain pour entrer dans la gestion de projet. À la clé : beaucoup de « non », de subventions qui n'arrivent pas, de complications administratives ou de regards sceptiques de la part des locaux. Finalement, après une tentative en Ardèche, elle pose ses valises dans une ancienne distillerie en Normandie. « On n'attend plus que les livres et les bouteilles ! » se réjouit l'ancienne prof qui reconnaît tout de même la difficulté d'un tel projet dans le contexte actuel.
Libraire à Lafayette Anticipations, Camille Drouet abonde : « Avec mes confrères et consœurs, on a l'impression de vivre une situation gérée comme par un poulet sans tête, dont tout le monde connaît les impasses - comme la surproduction par exemple. Et personne ne sait où aller. »
Pour autant, le métier ne cesse de générer du désir. « Avant 2021, la librairie où je travaille recevait une candidature par semaine. Aujourd'hui, c'est plutôt une candidature par jour ! » interpelle Julien Augustyn qui se demande : « Finalement ne formerait-on pas trop par rapport à un métier dont les besoins d'effectifs restent stables ? » Pas forcément, pour Cécile Gaudineau : « Former des jeunes est essentiel pour donner du souffle à nos librairies. On sait qu'un jour on ne sera plus libraire car le métier est dur, la pression forte et le salaire bas. L'idée est juste de savoir quand… » Pour mieux passer le relais ?
Cécile Gaudineau et Camille Papazian-Pointet : « On ne s'attendait pas à soulever autant de piles de cartons ! » (article paru en juin 2024)
Étudiante en alternance à l'École de la librairie il y a 6 ans, Cécile Gaudineau est désormais libraire à La Plume du page dont elle a racheté l'année dernière le local avec Adrian Grilhe. Six ans plus tard, c'est au tour de Camille Papazian-Pointet de fouler les marches de l'école maisonnaise. Elle aussi, plus tard, veut sa propre librairie.
Livres Hebdo Quand vous êtes entrées à l'École de la librairie, qu'attendiez-vous ?
Cécile Gaudineau : Je me souviens avoir été bouleversée par mes premiers pas en librairie. Je croyais que la librairie était seulement un métier de vente où l'on passait la majeure partie de son temps derrière le comptoir à conseiller les clients, mais c'est complètement faux. Dès ma première expérience dans une librairie spécialisée en BD, mangas et comics, j'ai fait de la gestion, de la compta, de la réception de livres... Je ne m'attendais pas à ça - ni à soulever autant de piles de cartons !
Camille Papazian-Pointet : C'est vrai que c'est un métier vraiment très physique ! Ce côté multitâche, c'est aussi ce que j'expérimente dans la librairie où je suis en alternance. Quand je suis arrivée, j'ai pu passer une journée avec ma collègue en jeunesse, une journée en BD, une journée en littérature, tout en étant formée à l'encaissement et à tout ce qui concerne la gestion.
La théorie enseignée à l'école vous a-t-elle paru parfois loin des réalités de terrain ?
C. G. : Non, jamais, car nos cours ont toujours été très pratiques. L'école change souvent son programme, se pose beaucoup de questions et se remet au goût du jour. L'une des seules choses que j'ai regrettées, c'est que l'école ne fournisse pas de "red list" des librairies non recommandables qui proposent un apprentissage. Je me souviens de plusieurs apprentis qui ont changé d'orientation car cela se passait trop mal dans leur librairie.
C. P.-P. : Nous aussi, on échange beaucoup sur ces problématiques-là dans notre promotion et avec notre référente. Je ne sais pas quelle place pourrait prendre l'école sur ces questions, mais en discutant, je me suis rendu compte qu'il y avait une partie non négligeable d'apprentis dont les conditions de travail en librairie n'étaient pas bonnes.
La surproduction fait partie des enjeux pour la librairie de demain. Cette question était-elle déjà abordée il y a sept ans ?
C. G. : On commençait déjà à se poser certaines questions. Je me souviens que nous en avions parlé en abordant le problème du pilon. Nous étions tellement surpris que la pratique soit autant démocratisée, on s'était dit : il faut qu'on fasse différemment.
C. P.-P. : Il n'y a toujours pas de cours consacrés à la surproduction aujourd'hui. Cependant, on aborde la thématique avec plusieurs cours comme ceux de gestion des stocks et de gestion des achats, mais aussi avec un cours sur l'écologie du livre, où l'on nous partage plusieurs solutions pour ralentir grandement le nombre d'offices qu'on choisit de prendre.
Et sur le terrain ?
C. P.-P. : On l'expérimente au quotidien ! La librairie du Pincerais où je travaille fait 250 m2. Nous recevons donc beaucoup de nouveautés. Par exemple, on peut recevoir entre six et sept cartons par jour, donc la surproduction, c'est quelque chose qui nous intéresse beaucoup ici, à la librairie.
C. G. : Ces dernières années, j'ai vu la production augmenter en masse, surtout en jeunesse, avec tous ces livres saisonniers. Recevoir trente livres sur Pâques alors que ceux de l'année dernière sont très bien, je trouve ça vraiment immonde. Avec Adrian, on a donc décidé d'arrêter de jouer le jeu et prévenu nos représentants que nous allions réduire les offices.
Avez-vous l'impression que ce phénomène s'est amplifié depuis vos débuts ?
C. G. : Oui, d'ailleurs mon patron, qui est parti à la retraite l'an dernier à 62 ans, n'était pas confronté à ce genre de questions à son époque. Pour autant, je vois aussi le début d'une prise de conscience de certains éditeurs qui revalorisent leur fonds et réduisent les nouveautés.
Depuis un an, le Syndicat de la librairie française (SLF) alerte sur la paupérisation du métier et les difficultés pour les librairies à répondre à l'inflation. Certains élèves sont-ils découragés par cette situation ?
C. P.-P. : À partir du moment où j'ai commencé mon DUT, donc avant d'entrer à l'École de la librairie, j'avais déjà été prévenue qu'on ne devient pas riche en étant libraire ; mais ça ne me fait pas peur.
C. G. : Pour ma part, le travail en librairie n'est pas le plus difficile dans le métier de libraire. Ce qui est le plus angoissant, c'est de trouver un contrat en librairie à la sortie de l'école. Avant d'arriver là où je suis, j'ai fait une vingtaine de librairies partout en France, ne serait-ce que pour trouver un CDD. Ça a été la période la plus horrible que j'ai pu vivre. Maintenant que j'ai trouvé cette librairie, je me donne à fond pour ce projet. Même si je gagne le smic ou à peine plus, je suis contente d'avoir ce métier car c'est un travail très gratifiant, malgré le salaire qui est vraiment bas.
Quel avenir pour la librairie ?
C. P.-P. : La librairie (ou en tout cas le lieu que j'aimerais créer) est un espace accessible à tous, pas seulement à ceux qui lisent déjà. La librairie est un commerce encore assez effrayant pour certaines personnes. Avec certaines animations, j'aimerais attirer ce public qui a peur d'y entrer.
C. G. : C'est vrai que c'est l'un de nos objectifs aussi, de sensibiliser un public peu habitué à la librairie. Par exemple, quand un jeune vient pour la première fois avec son pass Culture et qu'il ne trouve pas ce qu'il cherche, on lui explique comment faire pour demander le titre. En parlant avec des lycéens ou des collégiens, on s'est rendu compte que beaucoup ne connaissaient pas notre fonctionnement. Leur expliquer, ça nous permet aussi de leur dire de ne pas avoir peur, qu'on ne mange pas !
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