Intitulé L’écrivain « social », la condition de l’écrivain à l’âge numérique, le document de 132 pages livre une analyse prospective sur la façon dont la transition numérique va affecter tous les maillons de la chaîne – des éditeurs aux libraires, en passant par les bibliothèques et les critiques – et par ricochet, les auteurs eux-mêmes, obligeant le secteur à redéfinir son modèle économique.
Fort de ses observations aux Etats-Unis, son point de comparaison majeur, Frédéric Martel est en effet convaincu que, malgré " l’exception culturelle française ”, il n’y a aucune raison pour que le livre échappe à la profonde mutation que connaissent déjà le cinéma, la télévision, le jeu vidéo et la musique à l’ère digitale. "En France, on est induit en erreur par la lenteur du changement”, soutient-il, invitant les acteurs du marché jugés récalcitrants à ne plus "croire au modèle d’hier sans se soucier de l’avenir", et se désolant de voir que "le monde de l’édition commet, dix ans après l’industrie du disque, les mêmes erreurs".
Certes, "le marché du livre se porte bien" avec 356 millions de livres vendus en 2013 et un chiffre d’affaires de 4 milliards, admet le rapport, tandis que l’édition électronique ne se développe que "lentement". Mais les ventes de livres papier chez les libraires en ligne affaiblissent déjà la vente traditionnelle en magasin, poursuit-il, faisant l’hypothèse que cela puisse augurer d’un basculement plus large vers le numérique. La même année, les ventes de livres imprimés ont ainsi baissé de 6,5 % en librairie et de 5 % en grandes surfaces spécialisées au profit des sites de vente en ligne, Amazon en tête, qui rafle les deux tiers des commandes.
Le piratage, fléau à venir
Parallèlement, le piratage de livres, estimé à un tiers des livres lus sur tablette ou smartphone, "va devenir un phénomène majeur de l’édition", prophétise le chercheur, ce qui menacera le développement de l’offre électronique.
L’avenir du livre ne devrait pas non plus échapper à l’évolution vers le "all-you-can eat", l’abonnement illimité en streaming, fragilisant encore davantage les écrivains et leurs droits d’auteur, qui "vont s’effondrer" de manière "quasi certaine". Quant à la visibilité des œuvres, ajoute le rapport, elle est d’ores et déjà affectée par la mutation du métier de critique, dont l’influence diminue au profit de nouveaux prescripteurs jugés moins élitistes.
Dans ce contexte, l’écrivain français, déjà "exploité" et "négligé", ne survivra à cette vaste transformation du marché du livre qu’avec l’émergence de "nouveaux modèles" économiques.
Frédéric Martel avance 25 propositions. Parmi elles figurent la création d’un contrat séparé pour l’édition numérique, l’élargissement notamment aux collectivités locales de la réforme du CNL obligeant à rémunérer les auteurs aux festivals qu’il soutient, le développement de MOOCS d’écrivains, la formation de ces derniers aux techniques du Web social, ou encore le développement de la "smart curation", une prescription culturelle mêlant le tri algorithmique et humain. Autant de pistes censées conjurer l’extinction annoncée des écrivains et "redonner du souffle" au secteur.