Avant-critique Beau livre

Collectif Publié sous la direction de Bruno Jean et Martin de Halleux, "Stéphane Mandelbaum. Une monographie" (Les Éditions Martin de Halleux) : Le Caravage punk

Composition (Masque nö), 1983. - Photo © Stéphane Mandelbaum/Martin de Halleux

Collectif Publié sous la direction de Bruno Jean et Martin de Halleux, "Stéphane Mandelbaum. Une monographie" (Les Éditions Martin de Halleux) : Le Caravage punk

Monographie de Stéphane Mandelbaum, dessinateur à (re)découvrir d'urgence, sous la houlette de Bruno Jean et Martin de Halleux.

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Par Sean Rose,
Créé le 28.10.2022 à 09h00

En 2017, à Drawing Now, salon du dessin contemporain à Paris, des œuvres provocatrices du Belge Stéphane Mandelbaum (1961-1986), dont un portrait du dignitaire nazi Goebbels, sont montrées avec quelque appréhension de la part des organisateurs. Devant le génie du trait de l'artiste juif mêlant esprit punk et esthétique expressionniste à la George Grosz ou à la Otto Dix, tout se vend comme des petits pains. Le Centre Pompidou, le collectionneur Antoine de Galbert, le producteur Marin Karmitz... ces professionnels ou amateurs des arts graphiques s'étaient empressés d'acquérir les chefs-d'œuvre de l'artiste voyou de la scène bruxelloise des années 1980. Portrait de George Dyer, l'amant du peintre anglais Bacon dont Mandelbaum se sentait picturalement proche, ou celui de Pasolini, cinéaste fétiche et lié à lui par ses thèmes... D'ailleurs, le dessinateur, dont une magistrale monographie sort cet automne aux éditions Martin de Halleux, meurt, comme le réalisateur et auteur italien, d'une mort violente, assassiné par l'un de ses comparses impliqués dans une affaire de vol de toile de maître. « Produit comme un film » (coût 70 000 euros), le projet de cette aventure éditoriale (400 clichés de dessins et de carnets pris dans les collections publiques et surtout privées) a été mené à terme sous la houlette de l'éditeur et de Bruno Jean, commissaire d'une exposition de Mandelbaum à Beaubourg, qui incita Martin de Halleux à étendre le catalogue.

Fascination pour la pègre, obsession du sexe et de la mort, Mandelbaum c'est le Caravage punk du dessin, un punk maîtrisé dont le chaos intérieur se traduit par une époustouflante virtuosité dans l'expression même de ce malaise existentiel. Le traumatisme d'une histoire familiale marquée par la Shoah hante l'œuvre de Mandelbaum, insufflant à ses coups de crayon ou ses traits au stylo Bic (un médium pauvre et néanmoins si souple) le sens du tragique et de l'absurde. Es gibt kein warum ! « Il n'y a pas de pourquoi ! » éructaient les bourreaux allemands. Croix gammée et autres insignes du parti national-socialiste, portraits des siens maculés de graffitis virulents, visages comme profanés, griffés par des microdessins ou des écritures minuscules en allemand, en yiddish témoignant de la barbarie des camps... Mais aussi mises en scène érotiques d'amis en plein coït, se sodomisant, hommes ithyphalliques, femmes impudiques, sexes offerts au spectateur non tant subjugué par l'obscène en soi que par l'énergie brutale de l'accouplement entre Éros et Thanatos, la brûlure d'un désir voué par sa consommation à sa propre fin- quand la petite mort rencontre la grande.

Collectif Publié sous la direction de Bruno Jean et Martin de Halleux
Stéphane Mandelbaum. Une monographie
Les éditions Martin de Halleux
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 59 € ; 592 p.
ISBN: 9782490393244

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