Poésie du jardin. En Occident, le jardin, bien plus qu'un vert enclos destiné à agrémenter la maison dont il dépend, a été synonyme de paradis - une manière de duplication terrestre de l'Éden perdu, c'est un locus amoenus, un « lieu de loisir ». Et quelle meilleure voie pour retrouver la félicité première que l'amour ? Aussi le jardin est-il plus que jardin : au-delà de l'horticulture, il permet de faire éclore en son sein le sentiment amoureux et de cultiver la poésie. Le trope du jardin fait florès parmi les poètes médiévaux tels l'auteur du Roman de la rose, Guillaume de Lorris, et son continuateur Jean de Meung, ou encore Christine de Pizan.
Mais c'est aux prémices de l'humanisme florentin et à la Renaissance que cette thématique prendra un essor particulier en entremêlant intimement littérature et arts plastiques. Comme le montrent l'exposition du château de Pau « Poètes au jardin : de Pétrarque à Shakespeare » et son catalogue étayant plus avant, avec essais érudits à l'appui, le beau parcours proposé par le musée palois. Tout commence avec Pétrarque et l'apparition de la maîtresse de son cœur parmi la verdure et l'eau. Ainsi le héraut du renouveau poétique italien, le dolce stil novo [« doux nouveau style »], dépeint-il sa bien-aimée Laure : « Ondes claires, fraîches et douces / Où vint reposer ses beaux membres / Celle-là qui seule me paraît dame... » Le poète florentin possède un exemplaire de Virgile avec en frontispice une image peinte par Simone Martini (XIVe siècle), c'est de cette miniature qu'il s'inspire directement pour son célèbre poème.
Le Tasse, Marguerite de Navarre, Shakespeare... Chacun trouvera sa palette et ses mots pour moduler sa vision du jardin. Chez le poète de La Jérusalem délivrée (1581), « le modèle [...] est filtré par l'architecture des palais et des châteaux de la Renaissance [...]. Véritable prolongement du palais, c'est un microcosme reflétant un imaginaire précis. Le labyrinthe, qui structure les allées du jardin, est le symbole de la fatigue de l'Homme qui essaie de s'en sortir, mais aussi de cet avancement dans la recherche. » L'autrice de L'Heptaméron (1540) se réfère certainement au jardin à l'italienne, décor récurrent du Décaméron de Boccace. Mais aux yeux de la sœur de François Ier, le jardin tient davantage de l'hortus conclusus, ce « jardin fermé » où l'âme s'unit à Dieu, et auquel se réfère le long poème biblique mystico-érotique qu'est le Cantique des cantiques. Le barde de Stratford, quant à lui, avec sa verve flamboyante et souvent grivoise, a recours au jardin comme image du verger interdit qu'est, à l'époque élisabéthaine, le sexe de la femme avant le mariage. Pour les auteurs et artistes de la Renaissance, le jardin est avant tout le terreau de la création, du « faire », poièsis en grec- où croissent les vers ou les récits, où poussent les images littéraires ou artistiques.
Poètes au jardin : de Pétrarque à Shakespeare
RMN-Grand Palais
Tirage: 1 200 ex.
Prix: 30 € ; 160 p
ISBN: 9782711879908