Photographes au féminin. « Voir à travers le miroir et y croire, voilà le moteur de mon travail », explique la grande photographe française Sarah Moon. Tout comme elle, beaucoup de femmes se consacrent à la photographie. De nombreuses disciplines observent toutefois un même paradoxe : alors que les étudiantes s'avèrent majoritaires par rapport à leurs homologues masculins, elles sont minoritaires quand il s'agit d'en faire son métier. Fannie Escoulen - cheffe du département de la photographie au ministère de la Culture - affirme qu'elles ne sont que 38% une fois diplômées et plus que 21% après 40 ans. Concilier « création et procréation » semble impossible. Ce déséquilibre se retrouvait aussi à Paris Photo, où les femmes ne représentaient que 20% des artistes exposés. De là l'idée de créer le parcours Elles x Paris Photo, afin de « les faire connaître et d'amplifier leur visibilité », parce que « l'inclusivité et la diversité ne sont plus un sujet, mais une réalité », souligne la directrice du salon, Florence Bourgeois. Cette volonté de les sortir de l'ombre se retrouve dans un beau livre, richement documenté et illustré. « Il reflète cet engagement et permet de donner la parole à toutes les femmes artistes, pour laisser une trace, une -histoire. » Originaires du monde entier, ces photographes partagent leur vision quant à « la langue de l'œil ». Mais existe-t-il finalement un regard féminin ? La célèbre Marina Abramović, qui pose avec un crâne humain entre les mains, soutient : « Je suis une femme, mais je produis un art qui n'a pas de genre. » L'autoportrait de la Belge Charlotte Abramow affiche un buste féminin nu, dont les seins trempent dans des verres de vin. Elle estime, au contraire, que « le rapport au corps des femmes, du féminisme, mais aussi les étapes de vie comme la maladie ou la vieillesse » sont essentiels à son œuvre. Une position que l'on retrouve chez la Marocaine Carolle Bénitah qui jongle avec les photos de famille anciennes, comme celle de cette femme à la robe noire, divisée par un trait doré. S'intéressant à l'identité, elle avoue : « Tout ce que je fais, c'est uniquement afin de prendre ma place dans le monde en tant que femme et photographe. » Alors qu'Orlan sort du cadre défini en jouant la carte de l'abstraction, l'Espagnole Ira Lombardia la rejoint sur le corps des femmes, avec ses statues nues amputées brandissant un message à la Femen,« my body, my rules ». La richesse de ce livre est de révéler la pluralité des artistes, qui excellent dans tous les genres photographiques, y compris l'expérimentation. Martine Barrat, qui nous montre une vieille chanteuse à Harlem, affirme : « L'humanité d'un photographe l'emporte sur son genre. En photographie comme dans la vie, mon seul principe est d'être libre. » Une liberté que revendique aussi la pionnière engagée Marie Docher qui fait justement avancer la reconnaissance de ses consœurs : « Qui définit le talent ? Nous sommes des photographes qui éclairent généreusement les endroits que la norme ignore. »
Elles x Paris Photo
Textuel
Tirage: NC
Prix: 39 € ; 312 p.
ISBN: 9782845979796