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Bibliothèques, marchés publics et prix unique

rayon de littérature en librairie - Photo Olivier Dion

Bibliothèques, marchés publics et prix unique

Une récente réponse ministérielle à une question de la sénatrice Laure Darcos, le 18 avril dernier*, a apporté un éclaircissement sur le régime de la dispense de publicité et de mise en concurrence préalables pour les marchés publics de livres non scolaires. Une dispense liée au prix unique du livre. Explications.

J’achète l’article 1.5 €

Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 08.11.2024 à 10h47

Depuis le décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018, les marchés publics de livres non scolaires bénéficient d’une disposition particulière : le seuil de dispense de procédure pour les marchés publics s’établit à 90 000 euros HT (au lieu de 40 000 euros HT) dans le cas des marchés publics de livres non scolaires passés soit pour leurs besoins propres par l’État, les collectivités territoriales, les établissements d’enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, les syndicats professionnels et les comités d'entreprise. Soit pour l’enrichissement de leurs collections, par les personnes morales gérant des bibliothèques accueillant du public.

Cette mesure découlait du constat que le critère du prix, habituellement déterminant pour l’attribution des marchés publics, était quasiment inopérant dans le cas des marchés publics de livres non scolaires. L’objectif de la mesure était donc double. D’une part, mieux prendre en compte, dans le fonctionnement de la commande publique, le cadre normatif relatif au prix du livre ; d’autre part, sécuriser l’accès des librairies de proximité aux marchés publics des bibliothèques, afin de contribuer au maintien d’un réseau de distribution du livre de nature à garantir la diversité de la création et le pluralisme des opinions et des idées à travers l’accès aux livres du plus grand nombre.

Les modalités de la dispense de publicité

Dans ce type de marché public, le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’annoncer son intention de procéder à un achat par une publication au Bulletin officiel des annonces de marchés publics, au Journal officiel de l’Union européenne, sur son site Internet ou sur tout autre support d’information. Il n’est pas tenu de mettre en oeuvre une procédure formalisée ou adaptée de mise en concurrence des opérateurs économiques susceptibles de réponse à son besoin, telles que celles en vigueur par exemple dans le cadre des marchés publics sur appel d’offres (MAO) ou des marchés publics à procédure adaptée (MAPA).

Pour la fourniture de livres, le marché public prend le plus souvent la forme d’un accord-cadre exécuté par bons de commande, qui peut être attribué à un seul ou à plusieurs fournisseurs. Si le pouvoir adjudicateur définit des lots en fonction du type de livres non scolaires (documentaires adultes, livres jeunesse, bandes-dessinées, etc.) ou de tout autre critère pertinent, chaque lot peut être attribué à un prestataire distinct. Le ou les attributaires s’engagent contractuellement auprès du pouvoir adjudicateur à répondre aux commandes de livres qui leur seront adressées pendant la durée de l’accord-cadre. Ce contrat doit être écrit dès lors que l’accord-cadre répond à un besoin dont la valeur estimée excède 25 000 euros HT.

Une collectivité dont le besoin annuel d’achat de livres non scolaires est estimé à 70 000 euros HT peut opter pour une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables si elle effectue ses achats sur une base annuelle. En revanche, si elle choisit de passer un accord-cadre pour une durée de deux ans ou plus, elle devra recourir suivant les cas à une procédure adaptée (MAPA) ou à une procédure formalisée, l’appel d’offres étant dans ce dernier cas la procédure de principe pour la fourniture de livres.

Cependant, la faculté de passer des marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables ne dispense pas le pouvoir adjudicateur de respecter les grands principes de la commande publique.

Liberté d’accès à la commande publique

Tous les prestataires potentiels doivent pouvoir accéder à la commande, quels que soient leur taille et leur statut.

Égalité de traitement des candidats

Tous les prestataires potentiels avec lesquels le pouvoir adjudicateur traite dans le cadre du marché doivent bénéficier d’un même traitement et recevoir les mêmes informations.

Transparence des procédures

L’acheteur doit informer le ou les prestataires approchés sur les conditions de déroulement de l’achat. Il doit conserver les documents (courriers, courriels, fax, contrats, etc.) retraçant les échanges avec le ou les prestataires approchés dans le cadre de l’achat. Il doit pouvoir justifier le choix de son prestataire et, le cas échéant, motiver auprès des prestataires non retenus les raisons du rejet de leur offre.

Ainsi, le fournisseur désigné doit respecter les exigences du pouvoir adjudicateur et aura pour objet exclusif de répondre aux besoins qu’il aura exprimés. Sans qu’il soit besoin d’organiser une mise en concurrence, le pouvoir adjudicateur tiendra compte dans son choix des éléments essentiels pour la fourniture de livres : niveau de rabais proposé, délais de livraison, modalités de passation et de suivi des commandes. Il pourra également prendre en considération, en fonction de ses besoins et de sa politique d’achat, des éléments tels que le service après-vente, l’organisation du fournisseur et sa capacité de conseil, la performance environnementale, etc.

Le coût de la livraison

À ces dispositions, s’ajoutait la question du coût de la livraison avec notamment la concurrence d’Amazon et de ses frais de livraison gratuit. En effet, le nouveau quatrième alinéa de l'article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981, introduit par la loi n° 2021 1901 du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs, prévoyait le principe d'un tarif minimum de livraison pour l'achat de livres neufs : « Le service de livraison du livre ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement, être proposé par le détaillant à titre gratuit, sauf si le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres. Il doit être facturé dans le respect d'un montant minimal de tarification fixé par arrêté des ministres chargés de la culture et de l'économie sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ». Or, l'article 3 de la même loi prévoyait une dérogation pour ce qui est des marchés publics de livres.

Cette dérogation de l'article 3 à l'ensemble du quatrième alinéa de l'article 1er de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 permet par conséquent de considérer que l'achat public n'est pas concerné par les dispositions relatives au tarif de livraison. Ainsi, le prix de la livraison de livres dans le cadre des marchés publics de livres est libre. Quel que soit le montant du marché, l'acheteur public ne peut ni imposer la gratuité des frais de livraison, ni demander une facturation obligatoire de ce service. Il convient en particulier de ne pas considérer une candidature comme irrégulière au motif que l'offre ne respecterait pas les dispositions de l'arrêté du 4 avril 2023 prévues en dehors du cadre de la commande publique.

Ainsi, les fournisseurs de livres à destination des acheteurs publics, notamment pour enrichir les collections de leurs bibliothèques et médiathèques, conservent la possibilité soit de leur proposer un service de livraison gratuit quel que soit le montant du marché et les modalités de livraison (sous-traitées ou non), soit de leur facturer cette opération.

*Rép. min. n° 11276 : JO Sénat 11 juill. 2024, p. 3025 et 3026 - Q. 18 avr. 2024, Mme Laure Darcos

 

 

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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