Juridique

D’un Z qui veut dire pirate

Le piratage de livre numérique - Photo Olivier Dion

D’un Z qui veut dire pirate

Le procès intenté par le Syndicat national de l'édition à la plateforme Z-Library démontre que les droits d’auteur ne sont pas solubles dans le cyberespace. Et que la liberté d’expression et d’entreprendre brandie par les fournisseurs d’accès s’arrête très logiquement là ou commence les droits de ceux qui s’expriment. C'est ce qu'illustre la décision du Tribunal judiciaire de Paris (3ème chambre 1ère section, 12 septembre 2024, N°RG 24/06986).

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 16.10.2024 à 11h16

La difficulté avec les pirates est qu’ils se cachent toujours derrière leurs cicatrices et des criques dans des îles étrangères, et qu’il est toujours hasardeux de les poursuivre. Ces difficultés retiennent souvent les victimes de s’adresser à la justice pour réprimer les comportements délictueux ou illégaux. Surtout sur Internet où toute procédure semble vaine ; les pirates étant aussi fuyants qu’anonymes.

En l’espèce, le Syndicat national de l’édition (SNE) entendait mettre fin aux agissements d’une plateforme pirate de mise à disposition illicite sur Internet d’œuvres littéraires sous forme de livres numériques offrant à ses utilisateurs la faculté de les consulter et de les télécharger sous différents formats (text, ePub, pdf, etc.) et permettant leur consultation sur tout support ; et ce à travers plus de 300 noms de domaines !

Une vraie saignée

Heureusement, le SNE veille et a utilisé les moyens que lui donne le Code de propriété intellectuelle dans son article L. 336-2 qui prévoit qu' « en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »

Ainsi, au lieu de se perdre dans les méandres inconnus des adresses IP et autres titulaires cachées derrière des pseudos ou des sociétés étrangères occultes, le SNE a demandé aux quatre fournisseurs d’accès français (Orange, SFR, Bouygues et Free) de bloquer les sites qui mettaient à disposition de manière illégale ces milliers de livres.

Pour ce faire, les démarches n’en ont pas moins été minutieuses afin d’apporter les meilleurs éléments de preuve possible au juge. Ainsi, le SNE a fait dresser des constats permettant d’attester des violations des droits.

De leur côté, les opérateurs soucieux de défendre leurs droits ont rappelé les conditions exigées par le droit positif permettant un éventuel blocage, à savoir : la preuve de l’atteinte au droit d’auteur ; le caractère judiciaire préalable et impératif de la mesure dans son principe, son étendue et ses modalités, y compris pour son actualisation ; la liberté de choix de la technique à utiliser pour réaliser le blocage ; la durée limitée de la mesure.

À ces conditions, un des fournisseurs d’accès arguait également la nécessité d’évaluer si la mesure de blocage était proportionnée et strictement nécessaire à la protection des droits en cause, au regard notamment des risques d’atteinte au principe de la liberté d’expression et de communication (risques d’atteintes à des contenus licites et au bon fonctionnement des réseaux), de l’importance du dommage allégué, des risques d’atteinte à la liberté d’entreprendre des FAI, et du principe d’efficacité.

80 % des meilleures vente de l’année

Face à ces demandes et à ces arguments, le Tribunal a rappelé, en premier lieu, le principe fondamental que seule l'autorité judiciaire peut prononcer une mesure de blocage. Il a ensuite constaté que la plateforme Z-Library avait fait l'objet de plusieurs études et procès-verbaux permettant de relever que de très nombreuses oeuvres protégées étaient publiées et mises à disposition aux fins de téléchargement par le biais d’une multiplicité de noms de domaine. Il relevait aussi que sur la base du classement des meilleures ventes de l’année 2021 tous genres confondus, 40 titres sur 50 étaient accessibles sur la plateforme, ce qui représentait 80 % des meilleures ventes de l’année disponibles gratuitement !

Enfonçant le clou, le Tribunal notait que la plateforme Z-Library figurait sur la liste des principaux sites contrefaisants établie par le Ministère de l’industrie et du commerce américain, ainsi que sur la Counterfeit and privacy watch list élaborée par la Commission européenne et qu’elle avait fait l’objet de plusieurs procédures de blocage à l‘étranger, notamment au Danemark, en Angleterre et aux États-Unis.

S’appuyant sur l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui a réalisé la transposition de l'article 8 §3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, le Tribunal se référait aux arrêts Scarlet Extended c. Sabam (C-70/10) du 24 novembre 2011 et Promusicae (C-275/06, Rec. p. I-271) du 29 janvier 2008 de la Cour de justice de l’Union européenne qui édictait de manière claire les principes en la matière, à savoir que « la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits liés à la propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux.

Plus précisément, […] il incombe aux autorités et aux juridictions nationales, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’auteur, d’assurer un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures. Ainsi, […] les autorités et les juridictions nationales doivent notamment assurer un juste équilibre entre la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les FAI en vertu de l’article 16 de la charte.

Empêcher l’accès au site Z-Library

Le Tribunal en a donc déduit qu’un juste équilibre devait être recherché entre la protection du droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise des fournisseurs d’accès à Internet, et les droits fondamentaux des clients des fournisseurs d’accès à Internet, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel et leur liberté de recevoir et de communiquer des informations, d’autre part. La recherche de cet équilibre impliquait d’écarter toute mesure prévoyant un contrôle absolu, systématique et sans limitation dans le temps, de même que les mesures ne devaient pas porter atteinte à la « substance même du droit à la liberté d’entreprendre » des fournisseurs d’accès à Internet, lesquels doivent conserver le choix des mesures à mettre en oeuvre.

À cette fin, le Tribunal a donc ordonné aux quatre fournisseurs d’accès français de mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès au site Z-Library, à partir du territoire français par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix ; et ce pendant une durée de 18 mois.

Ainsi, le SNE a réussi pour un temps à préserver des pirates l’île au trésor que sont les livres produits par l’édition française, grâce aux auteurs et aux éditeurs. Le SNE peut ainsi toiser la plateforme Z-Library et lui dire, tel Long John Silver : « Jamais personne ne m'a regardé entre les deux yeux, qui ait vu ensuite un jour de bonheur ! »

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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