Polémique

Au Nigeria, il y a des librairies (et du piratage)

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Au Nigeria, il y a des librairies (et du piratage)

« Est-ce qu'il y a des librairies au Nigeria ? » La question de Caroline Broué à l'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, lors de la Nuit des idées jeudi dernier, a provoqué une polémique en France comme en Afrique. L'auteure a répondu en publiant un texte sur Facebook. Des études récentes montrent que le secteur du Livre au Nigeria est dynamique, malgré le piratage, l'illettrisme et le faible niveau de vie.

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Par Vincy Thomas
Créé le 29.01.2018 à 17h00

Invitée d’honneur à la Nuit des idées jeudi 25 janvier au ministère des Affaires étrangères, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie, a dû répondre à une étrange question de la journaliste de France Culture Caroline Broué: "Est-ce qu'il y a des librairies au Nigeria?".
 
"Je pense que cela donne une mauvaise image des Français que vous ayez à me poser une telle question. [...] Mes livres sont lus au Nigeria, ils sont étudiés dans les écoles, pas seulement au Nigeria, dans l'ensemble du continent africain aussi", avait alors répondu l’écrivaine.

La polémique enfle alors sur les réseaux sociaux et l’auteure décide le 26 janvier de justifier cette maladresse de la journaliste dans un texte posté sur son compte Facebook.
 

"Je ne m'attends pas à ce qu'un Français sache presque tout sur le Nigeria", explique-t-elle. "Je ne sais presque pas tout de la France. Mais être invité à "dire aux Français que vous avez des librairies au Nigeria parce qu'ils ne savent pas", c'est répondre à une idée volontairement rétrograde que l'Afrique est si à part, si pathologiquement 'différente' qu'un non-Africain ne peut pas faire d'hypothèses raisonnables sur la vie là-bas » écrit-elle.
 
Chimamanda Ngozi Adichie
"Peut-être que les Français ne peuvent pas concevoir le Nigeria comme un endroit où il y aurait des librairies. Et cela, en 2018, à notre époque avec les interconnexions et Internet, c'est une honte. Cela dit, la journaliste Caroline Broué était intelligente, réfléchie et bien préparée. Quand elle a posé la question, j'ai été surprise parce que c'était loin en dessous du registre intellectuel de ses questions précédentes" affirme l’auteure de Americanah et L’autre moitié du soleil (Gallimard publie toute son œuvre en France).
 
Et elle ajoute: "Si la question avait été 'est-ce difficile d'avoir accès aux livres ?' Ou 'les livres sont-ils abordables ?' cela aurait été différent, car cela aurait la peine d'engager la conversation". Car en effet, le problème au Nigeria n'est pas la présence de librairies mais bien le coût des livres.
 
Une soixantaine de librairies et une quarantaine d'éditeurs
 
Le Nigeria compte une soixantaine de librairies indépendantes importantes réparties dans les principales villes du pays, en dehors des libraires de livres d'occasion et des points de vente proposant presse, manuels scolaires, livres religieux etc.
 
"Le paysage éditorial du Nigeria n’est pas réellement éloigné de ce que l’on voit dans les pays développés" affirmait l’an dernier Gbadega Adedapo, président de l’Association des éditeurs nigérians (créée en 1965) et P-DG de Rasmed Publications Ltd dans un rapport de l’Union internationale des éditeurs. Il rappelait que, dans le pays le plus peuplé d’Afrique, le paysage éditorial était composé de filiales d’éditeurs internationaux, principalement anglo-saxons, dirigées par des Nigérians, des maisons d’édition locales et une grande part d’autoédition. Les manuels scolaires et livres universitaires représentent 80% du marché, les livres sur la religion et le développement personnel 10%, les ouvrages professionnels 5% et les autres livres (littérature, non-fiction, BD) 5%. L'Association compte une trentaine de membres sur la quarantaine d'éditeurs qui publient des ouvrages imprimés hors secteur éducatif.
 
Vendeur de livres dans la rue au Nigeria
Un secteur en croissance

Les industries culturelles au Nigeria devraient rapporter 2,8 milliards de dollars de recettes entre 2016 et 2021 selon une étude publiée en septembre par PriceWaterhouse Coopers. Selon cette étude, les revenus issus de l’industrie du livre vont croître fortement dans les années à suivre. Le secteur a pesé 35 millions de $ en 2016 (+4,9%) et compte 36 millions de consommateurs.
 
Les éditeurs nigérians commencent à s’exporter, à l’instar de l’éditrice Bibi Bakare-Yusuf qui va installer une maison d’édition à New York aux Etats-Unis. L’éditeur Abubakar Adam Ibrahim (Cassava Republic) connaît un certain succès en proposant ses livres en Amérique du nord, avec le diffuseur Consortium. Outre Chimamanda Ngozi Adichie, la littérature nigérienne s'exporte bien avec des auteurs comme Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ben Okri, Lola Shoneyin et Helon Habila.
 
La part des livres étrangers reste relativement minoritaire et essentiellement américaine. Seuls les ouvrages professionnels et la littérature jeunesse sont en grande partie importée. Localement, la bande dessinée est en plein boom avec ses propres super-héros et ses auteurs stars comme Roye Okupe. Par ailleurs, certains projets se financent à travers des plateformes de crowdfunding comme Kickstarter.
 
Endettement et piratage

Si les éditeurs parviennent à profiter du dynamisme local et de l’intérêt à l’étranger pour leurs auteurs, les librairies constatent qu’elles ne profitent pas de cet engouement. Les faibles ventes (un best-seller s'écoule à 3000 exemplaires sur plusieurs mois) entraînent l’industrie dans un cercle vicieux, comme le rappelait en avril dernier le quotidien britannique The Guardian: les éditeurs sont endettés par les défauts de paiements des libraires, et par conséquent, peinent à payer les droits d’auteurs aux écrivains.
 
A ce tableau contrasté s’ajoute le piratage: à cause du prix élevé des ouvrages (8$ alors que le salaire moyen est d'environ 120$) et dans un pays très connecté, cela reste le problème majeur pour le secteur du Livre dans le pays. A l’occasion de la 16e Foire internationale du livre du Nigeria en mai dernier, Gbadega Adedapo, en coordination avec la Commission sur le droit d’auteur au Nigeria, a lancé un grand programme de lutte contre le piratage, notamment en soutenant davantage la chaîne de distribution.
 
Rappelons enfin qu'après une politique volontariste en faveur de la lecture et contre l'illettrisme (qui touche un Nigérian sur deux) en 2010, l'une des métropoles du pays, Port Harcourt, a été promue Capitale mondiale du livre en 2014. La ville s'est dotée d'un festival de littérature et compte vingt librairies.

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