Polémique

Kamel Daoud assigné en justice en France pour non-respect de la vie privée

Kamel Daoud le 4 novembre 2024 lors de la remise du prix Goncourt - Photo Olivier Dion

Kamel Daoud assigné en justice en France pour non-respect de la vie privée

L’écrivain a été assigné en justice en France, jeudi 13 février, pour non-respect de la vie privée par Saâda Arbane, une femme algérienne qui l'accuse d'avoir utilisé son histoire pour en faire le cœur de l'intrigue de son roman Houris, lauréat du prix Goncourt 2024.

Par Élodie Carreira
avec AFP Créé le 14.02.2025 à 10h19

Déjà poursuivi en Algérie, Kamel Daoud fait désormais l’objet d’une procédure judiciaire en France. L’écrivain a été assigné en justice en France, jeudi 13 février, pour non-respect de la vie privée par Saâda Arbane, une femme algérienne qui l'accuse d'avoir utilisé son histoire pour irriguer l'intrigue de son roman Houris, lauréat du prix Goncourt 2024. Cette assignation, dévoilée par Mediapart puis l'AFP ce vendredi 14 février, se traduira par une première audience de procédure au tribunal judiciaire de Paris, le 7 mai prochain.

Houris, qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre se déroulant en partie à Oran. Il retrace l’existence difficile d’Aube, une jeune femme rendue muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999. Pour Saâda Arbane, qui s’était exprimée à la mi-novembre sur la chaîne algérienne One TV, le personnage d’Aube a été calqué sur sa propre histoire. Plus jeune, celle-ci avait en effet échappé à une tentative d’égorgement perpétrée en 2000 par des jihadistes. Depuis, Saâda Arbane porte une canule, un tube introduit dans un orifice naturel pour permettre à son porteur de respirer.

200 000 euros de dommages et intérêts

Kamel Daoud l’a connue lorsque celle-ci était la patiente de sa femme Aicha Dehdouh, psychiatre, entre 2015 et 2023. Appuyée par de nombreuses attestations, Saâda Arbane demande dans son assignation 200 000 euros de dommages et intérêts ainsi qu'une publicité de la condamnation éventuelle, justifiant que le « caractère fortuit » de la ressemblance est « totalement impensable ».

Saâda Arbane affirme n'avoir jamais souhaité que son histoire devienne publique et « n'a jamais donné son accord pour que son récit soit utilisé par M. Daoud » malgré les trois demandes, répétées entre 2021 et cet automne, de Kamel Daoud et sa femme, insiste l'assignation. Au contraire, la femme, âgée aujourd’hui de 31 ans, était « déterminée à ce qu'en aucune façon ce récit, très singulier, intime et unique, ne (soit) utilisé par qui que ce soit ». D'autant que la publicité de son histoire aurait pu lui valoir des poursuites pénales en Algérie.

« Elle était la métaphorisation réelle de cette histoire »

L'assignation cite également un entretien de l'écrivain, donnée en septembre à l'Obs, dans lequel lui était demandé si son livre était inspiré d'une femme réelle. L'auteur de Meursault, Contre-enquête, Goncourt du premier roman 2015, avait répondu : « Oui, j'ai connu une femme avec une canule (...). Elle était la métaphorisation réelle de cette histoire ». Le document cite aussi deux médecins spécialistes en France et en Algérie qui attestent du caractère inédit et unique de la blessure de Saâda Arbane.

Le document liste enfin plusieurs dizaines de passages de Houris qui évoquent la famille de l'héroïne « Aube », l'attentat qu'elle a subi, ses cicatrices ou encore ses tatouages. Ces éléments, considérés comme proches de la vie de Saâda Abane, peuvent constituer des preuves du « pillage » allégué. « Cette procédure, dans l'histoire judiciaire des atteintes à la vie privée, sous couvert de fiction, est absolument exceptionnelle », ont affirmé à l'AFP MeWilliam Bourdon et Lily Ravon, avocats de Saâda Arbane.

Déjà une plainte en Algérie

« Elle l'est par l'ampleur des emprunts, par la mauvaise foi réitérée et plus encore le cynisme de Kamel Daoud et par les préjudices subis d'une très grande gravité », selon les deux professionnels. « M. Daoud se présente comme un écrivain engagé, mais en tous les cas, il s'est dégagé, en écrivant ce livre, de toute éthique, du respect du droit des femmes et du respect qu'il devait à une personne qu'il connaissait, Madame Saâda Arbane », insistent également ces derniers.

L'écrivain franco-algérien était déjà visé par une plainte de Saâda Arbane dans son pays d'origine. Il avait affirmé, mi-décembre, sur France Inter que « tout le monde connaît (cette) histoire en Algérie, et surtout à Oran. C'est une histoire publique ». « Le fait qu'elle se reconnaisse dans un roman qui ne la cite pas, qui ne raconte pas sa vie, qui ne raconte pas les détails de sa vie, je suis désolé », avait poursuivi l'écrivain.

Son éditeur Gallimard, contacté sans succès ce vendredi par Livres Hebdo, avait quant à lui dénoncé les « violentes campagnes diffamatoires orchestrées (contre l'écrivain) par certains médias proches d'un régime dont nul n'ignore la nature ». En effet, l’ouvrage de Kamel Daoud ne peut être édité en Algérie, puisque qu’il contrevient à une loi interdisant tout ouvrage d’évoquer la décennie noire, entre 1992 et 2002, et qui a fait pas moins de 200 000 morts selon les chiffres officiels. L’écrivain avait aussi fait valoir l’idée que la plaignante serait « manipulée par le régime » dont il est critique. 

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