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Nouvelle affaire Tournesol : Tintamarre judiciaire autour de Tintin

Hergé, le père de Tintin - Photo AFP

Nouvelle affaire Tournesol : Tintamarre judiciaire autour de Tintin

Moulinsart n’est pas seulement le château du capitaine Haddock, il est aussi le nom de la société d’exploitation des bijoux de la Castafiore, à savoir tous les droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé, sur laquelle elle veille jalousement à travers le monde. Comme le démontre l'affaire Xavier Marabout, tranchée le 4 juin 2024, par la Cour d’appel de Rennes. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 25.06.2024 à 19h39 ,
Mis à jour le 26.06.2024 à 14h54

Depuis 2005, Xavier Marabout, artiste-peintre parodiste, fonde sa démarche artistique sur le fait de « marabouter » des éléments de sa vision de la société et de sa propre culture. A partir de 2012, il s’est intéressé à l’œuvre d’Hergé et au personnage de Tintin, s’interrogeant sur la vie amoureuse de ce personnage, ce qui l’a déterminé à mettre Tintin en scène dans des situations inspirées des toiles du peintre américain Edward Hopper. Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions, notamment une intitulée Tintintamarre.

En juin 2015, la société Moulinsart, ayant découvert les œuvres de Xavier Marabout, le mettait en demeure de retirer de la vente les articles qu’elle estimait contrefaisants. Ce dernier a alors opposé l'exception de parodie. Finalement, en 2017, la société Moulinsart, invoquant une contrefaçon, l'a alors assigné devant le tribunal de grande instance de Rennes.

Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal avait débouté la société Moulinsart en reconnaissant une « exception de parodie » et une « intention humoristique » du peintre Xavier Marabout en estimant que « l'effet est constitué par l'incongruité de la situation au regard de la sobriété suivie de la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l'absence de présence féminine aux côtés de Tintin ».

Dans son arrêt du 4 juin 2024, la Cour d’appel de Rennes a pris le contrepied de ce jugement en infirmant la décision tout en rappelant les conditions de trois principes essentiels : l’exception de parodie, la liberté artistique et le droit moral.

L’exception de parodie

Sur la contrefaçon et l’exception de parodie, la Cour a rappelé que s'agissant d'une exception, la parodie devait être appréciée de façon restrictive et, en toute hypothèse, in concreto. En effet, la parodie s'entend, dans le langage courant, d'une satire qui imite, en la tournant en ridicule, une partie ou la totalité d'une œuvre sérieuse connue. À ce titre, la parodie exige une intention humoristique évidente, de préférence comportant une certaine intensité. Ainsi, l'œuvre parodique doit se distinguer de l'œuvre originale sans créer un risque de confusion entre les œuvres en cause ni conduire à s'approprier le travail d'autrui.

Néanmoins, la cour a considéré que ne pouvaient relever de l'exception de parodie les œuvres qui empruntent les ressorts d'œuvres premières pour s'attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement. Le contrefacteur s'arroge alors indûment une sorte de droit d'adaptation qui porte atteinte au droit d'auteur ou aux droits du titulaire de l'exploitation commerciale de l'œuvre et de ses produits dérivés. Ainsi, le seul fait, pour Xavier Marabout, d'introduire dans ses œuvres, d'ailleurs sans outrance, des éléments puissants de sensualité (femmes callipyges, présence d'un sex shop) ou disruptifs (tatouage de Tintin, Dupond qui fume, Tintin qui fume, dépressif, anxieux, fragilisé, lecteur d'un magazine gay ou encore qui boit une bière) ne pouvait, selon la Cour, pas être considéré comme procédant d'une intention humoristique, a fortiori lorsqu'il le propose, ainsi qu'il l'indique lui-même, en manière d'hommage à un dessinateur ayant marqué son adolescence.

En outre, la Cour a également estimé que les tableaux, qui découlaient en réalité d'une intention artistique, ne pouvaient pas répondre aux lois du genre qui s'entendent d'une utilisation en toute hypothèse très limitée, alors que Xavier Marabout en fait un véritable genre en soi, en utilisant parfois dans une même oeuvre jusqu'à cinq références, personnages compris, à l'univers des « Aventures de Tintin ».

La liberté artistique

Concernant la liberté artistique, la Cour a rappelé que si le courant « appropriationiste » consistait, comme son nom l'indique, à se réapproprier une création antérieure en lui ajoutant des éléments censés en changer l'intégrité et/ou l'esprit, l'article L. 113-4 du Code de la propriété intellectuelle qui qualifie « l'œuvre composite (comme étant) la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante », permet, de façon certes encadrée, la pratique du mash up.

Or, les œuvres transformatrices ne sont pas, en soi, interdites mais elles nécessitent l'accord de l'auteur de l'œuvre première. La liberté d'expression artistique peut procéder d'un réarrangement d'une œuvre antérieure afin de porter une opinion ou un message distinct permettant d'évoquer des sujets de société ou de rendre hommage à une personnalité.

En l’espèce, la Cour a considéré que si Xavier Marabout avait souhaité que le spectateur s'interroge sur un Tintin devenu adulte, confronté aux difficultés de la condition humaine, sa motivation intime n’était pas d’évoquer un sujet d'intérêt général mais bien d’une impérieuse nécessité personnelle motivée par l'exercice de son art.

Le droit moral

Concernant l'atteinte au droit moral, qui est attaché à la personne de l’auteur et qui est perpétuel, inaliénable et imprescriptible, l’épouse d’Hergé avait fait valoir qu'en reproduisant les personnages et les éléments créés par Hergé pour les Aventures de Tintin en dehors de leur univers habituel, Xavier Marabout avait porté atteinte à l'esprit de l'œuvre et l’avait dénaturé, notamment en imposant des personnages féminins à l'encontre de la volonté expressément exprimée de son vivant par Hergé.

Néanmoins, la Cour a estimé que le travail de Xavier Marabout, indépendamment des emprunts condamnables, devait d'abord être reconnu pour sa qualité incontestable, qu’il avait d'ailleurs été particulièrement bien accueilli par le public et qu’il ne s'agissait nullement pour Xavier Marabout de provoquer ou d'avilir les personnages de Tintin qui sont mis en scène de façon somme toute conventionnelle, bien qu'agrémentés de clins d'oeil sensuels ne dépassant pas les codes des pin-up des comics américains, conformément à l'hommage qu'il a souhaité rendre à Hergé en imaginant un Tintin ayant accédé à un âge adulte.

En définitive, la Cour a considéré que bien qu'Hergé ait refusé que Tintin succède à sa mort, au contraire de Goscinny et d’Uderzo avec Astérix ou de Morris avec Lucky Luke, dont les héros ont survécu au décès de leurs créateurs par l'édition de nouveaux albums composés par d'autres dessinateurs, ou encore qu'il ait délibérément « ignoré », hormis la caricature de la Castafiore ou la gouvernante Irma, le genre féminin dans ses bandes dessinées, par pudeur ou par respect, mais sûrement pas par misogynie, la démarche de Xavier Marabout ne dénaturait pas l'œuvre au point que son esprit s'en serait trouvé altéré.

Ainsi, si les bijoux de la Castafiore ont bien été préservés par le crabe aux pinces d’or, l’Objectif Lune est toujours possible pour les créateurs qui rendent hommage à l’œuvre d’Hergé sans être pour autant le trésor de Rackham le rouge.

Alexandre Duval-Stalla est avocat au Barreau de Paris et écrivain. Ancien secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris (2005) et ancien membre de la commission nationale consultative des droits de l’homme, il est le président fondateur de l’Association « Lire pour s’en sortir » qui promeut la réinsertion par la lecture des personnes détenues et du prix littéraire André Malraux.

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