Livres Hebdo : Après quatre années de budget en augmentation pour l’Enseignement supérieur et la Recherche, celui-ci va diminuer de 3 % cette année. Avez-vous une idée des conséquences pour les bibliothèques universitaires françaises ?
Marc Martinez : Pour l’heure non, les universités et établissements eux-mêmes ne savent pas encore avec précision quels montants seront concernés par les mesures d’économie. Il y aura des conséquences sur le fonctionnement et les projets d’avenir des universités qui retomberont mécaniquement sur les bibliothèques universitaires, lesquelles ont déjà dû faire face à l’accroissement des coûts de l’énergie ou à la compensation partielle des mesures “Guérini” par l’État [ndlr : une revalorisation des rémunérations dans la fonction publique décidée en juin dernier]. Plusieurs BU remontent d’ores et déjà des budgets au mieux en stagnation et plus souvent en baisse. Ce sont des signaux qui nous alertent.
La ministre Sylvie Retailleau indique vouloir ponctionner principalement sur les crédits mis de côté en cas d’imprévu (430 millions d’euros), mais va devoir se servir ailleurs : quelles économies seraient possibles pour les BU ?
Il faut se défaire de l’idée qu’universités et établissements usent de leurs fonds de roulement dans une logique de pure thésaurisation. Dans la majorité des cas, les fonds de roulement — souvent abondés du fait de versements trop tardifs dans l’année budgétaire par le ministère lui-même — gagent des projets de développement immobilier ou de services. Il n’y a pas de « cagnotte » pour les imprévus ou les mauvais jours. L’intégralité des crédits a vocation à servir au développement et à l’amélioration du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Concernant les BU, nous sommes d’ores et déjà à l’os. Si économies il doit y avoir, elles se traduiront en réalité par des coupes dans le fonctionnement. Donc des ressources documentaires en moins pour les enseignants-chercheurs, chercheurs et étudiants et des reports de projets immobiliers, principalement. Autant de facteurs qui dégraderont les conditions d’accueil pour les étudiantes et étudiants (horaires d’ouverture, crédits pour les ressources documentaires, emplois étudiants par exemple) ou la mise à niveau des locaux pour répondre tant aux besoins d’un accueil de qualité pour les publics qu’à ceux de la transition écologique.
La situation est d’autant plus tendue que de nouvelles missions ont été confiées aux bibliothèques ces dernières années : appui à la science et à l’éducation ouvertes, culture scientifique et technique par exemple. Et qu’elles sont attendues sur les problématiques de la vie étudiante.
Vous avez publié l’année dernière un livre blanc à l’adresse de l’État, lui demandant un plan de 3,4 milliards d’euros d’ici 2030 — pour, notamment, acheter plus de ressources documentaires, atteindre 5, et non plus 4, équivalents temps plein de personnels de bibliothèque pour 1 000 étudiants en 2030, renforcer leur formation initiale et continue, construire et rénover les BU… Aujourd’hui, quelles sont vos marges de manœuvre ?
Les premiers échanges avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur le sujet (et cela avant même l’annonce des coupes budgétaires dans le cadre du budget rectificatif) n’étaient guère engageants : dans le cadre des arbitrages budgétaires du gouvernement, le ministère n’apparaît pas structurellement en mesure de répondre à ces besoins pourtant critiques pour l’enseignement supérieur et la recherche français. Or c’est bien d’engagements fermes dont nous avons besoin pour répondre aux enjeux actuels et futurs de l’ESR mais aussi de la société dans son ensemble (emploi, innovation, transition écologique). Investir dans les bibliothèques universitaires, c’est investir dans l’avenir avec des effets de leviers importants.
C’est pourquoi nous tentons de saisir la représentation nationale, France universités et d’autres partenaires et alliés potentiels pour faire avancer nos idées sur le plan politique. Nous pouvons difficilement envisager de demeurer silencieux et inactifs alors même que les dernières annonces confirment dans les faits que l’enseignement supérieur et la recherche ne constituent pas, pour les pouvoirs publics, une priorité nationale. C’est à notre sens (et nous rejoignons totalement en cela les positions de France universités) engager le pays dans une trajectoire de déclin scientifique périlleuse à l’extrême pour son rang scientifique dans le monde d’aujourd’hui et son développement futur.