Un soutien jugé « massif », « pas indispensable » et entraînant « une surrentabilité temporaire » des librairies : tel est le bilan sévère dressé par le rapporteur de la commission des finances du Sénat sur les aides de l’État en faveur des libraires pendant la période Covid.
Le sénateur Jean-Raymond Hugonet a présenté son rapport détaillé ce mercredi sur les aides d’État au secteur du livre (en document lié sur la gauche de l’article).
Les données analysées par la commission des finances du Sénat montrent que le Centre national du livre (CNL) a doublé ses aides pendant la pandémie, passant d'environ 22 millions d'euros annuels à 43 millions d'euros d'aides exceptionnelles distribués sur trois ans. Cette mobilisation s'est déployée en trois phases : un plan d'urgence dès le printemps 2020, un plan de soutien jusqu'en 2021, puis un plan de relance en 2021-2022.
42 % de librairies soutenues pendant le Covid contre 7 à 9 % en temps normal
Les librairies ont été les principales bénéficiaires de ce dispositif. Le fonds d'aide exceptionnelle de 25 millions d'euros a concerné 1 904 établissements, tandis que le fonds de modernisation de 13,3 millions d'euros a accompagné leur transformation numérique et leurs investissements. Résultat : 42 % des librairies ont perçu au moins une aide en 2020, contre 7 à 9 % en période normale.

À l'inverse, les éditeurs ont été moins soutenus, avec seulement 9 % d'entre eux bénéficiant d'aides spécifiques en 2020, soit deux à trois points de plus qu'habituellement. Et l'analyse marque une asymétrie : là où les librairies ont subi des pertes importantes, les éditeurs ont mieux résisté, bénéficiant parfois même d'un report de consommation vers le livre.
Une « surrentabilité temporaire » des librairies
L'impact économique de ces aides publiques s'avère spectaculaire mais éphémère. Le rapport identifie une « surrentabilité temporaire des librairies » imputable aux dispositifs d'urgence, mais pas seulement. Le parlementaire l'explique également par la conjonction de plusieurs facteurs : en plus des aides spécifiques au secteur, les dispositifs généraux (chômage partiel, fonds de solidarité, PGE), et surtout une hausse conjoncturelle des achats de livres pendant les confinements ont permis d’accroître les revenus des librairies, sur une courte durée.
Dès 2022 en effet, « le secteur de la librairie est redevenu moins dynamique que l'ensemble des commerces de détail », note le rapport, signant la fin brutale de cette « bulle » liée notamment aux aides exceptionnelles.
Le rapport en un coup d'oeil
Des fragilités structurelles persistantes
Les acteurs de la filière reconnaissent l'efficacité du soutien : « sans ces aides, de très nombreuses librairies auraient été contraintes à la fermeture », selon le Syndicat de la librairie française (SLF) cité dans le rapport. Le mécanisme d'aide exceptionnelle aux librairies est salué pour son caractère « massif » et son « mécanisme simple d'utilisation ».
Trois ans après, la normalisation reste incomplète. Si les dispositifs d'urgence se sont éteints en 2023, le niveau global des aides CNL demeure supérieur de 3 millions d'euros à celui d'avant-crise. Certains dispositifs temporaires ont été pérennisés, comme « Jeunes en librairies », désormais budgétisé à 2 millions d'euros annuels.
Une préoccupation émerge : le remboursement des prêts garantis par l'État. Alors que les ventes de livres ralentissent, les professionnels s'inquiètent des échéances de remboursement des PGE. Le ministère de la Culture étudie la possibilité de remobiliser un dispositif d'avances remboursables via l'IFCIC (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles) pour étaler ces remboursements.
Au-delà de l'épisode Covid, le rapport met en lumière les défis structurels de la filière. Avec un taux de marge des librairies limité à 2 % selon le CNL, et un poids salarial représentant 62 % de la valeur ajoutée (contre 55 % pour le commerce de détail), les marges de manœuvre restent étroites.