Avant-critique Roman

Joseph Incardona, "Le monde est fatigué" (Finitude)

Joseph Incardona - Photo © Chloé Cohen

Joseph Incardona, "Le monde est fatigué" (Finitude)

Rentrée littéraire

Relecture postmoderne du mythe de Monte-Cristo, Le monde est fatigué de Joseph Incardona est un magnifique et puissant portrait de femme détruite.

Parution 22 août

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Par Olivier Mony
Créé le 23.07.2025 à 09h00

Êve ou la dernière femme. Même les bandits de la finance, même les producteurs de cinéma, même les organisateurs de spectacles aquatiques, même les milliardaires de tous bords croient au merveilleux. Êve le sait, elle leur en donne. Ils en ont pour leur argent. Parce qu'elle est belle, parce que c'est une femme et un poisson à la fois, une sirène qui nage dans les plus grands aquariums du monde, portée par le courant de leur désir plus ou moins inavoué. C'est son métier, croient-ils ; en fait, c'est autre chose. C'est l'instrument d'une vengeance, la marque d'un secret qui ne se dessine que lorsqu'Êve, sa longue et troublante queue de sirène en silicone ôtée, révèle ses deux jambes amputées, ce long chagrin inguérissable d'une fille devenue sirène fatale.

Lorsqu'elle a perdu ses jambes, Êve avait 26 ans. Elle s'appelait Nathalie Sauget, jeune femme suisse enceinte de sept mois, à qui tout paraissait promis. Jusqu'à ce qu'une nuit, alors qu'elle revenait à vélo, dans les montagnes valaisannes, d'une soirée passée chez une amie, elle soit renversée par une Lamborghini roulant à toute allure, brisée en mille morceaux, laissée pour morte alors que le conducteur du bolide prenait la fuite. Nathalie n'était plus, place à Êve, à sa vengeance, à la recherche de son « assassin » et de son enfant, que les médecins étaient parvenus à faire naître tout en le soustrayant à sa mère.

Classique, dira le lecteur lettré, qui reconnaîtra dans cet argument celui de la mort et de la transfiguration d'Edmond Dantès en comte de Monte-Cristo. C'est bien cela dont il s'agit dans Le monde est fatigué. Ce nouveau roman de Joseph Incardona, plus maître des illusions que jamais, est une version postmoderne, sous l'influence aussi de J.G. Ballard ou David Cronenberg, du mythe romanesque de Dumas. Incardona y retrouve toute la verve noire, politique et poétique de son plus beau livre, La soustraction des possibles (Finitude, 2020). Ici, le monde de l'auteur suisse se révèle à la fois terriblement (et tristement) le nôtre et tout à fait baroque aussi, traversé par des personnages comme damnés et toujours larger than life. On n'oubliera pas de sitôt le chagrin de cette sirène victime tout autant d'un accident sur une route suisse que d'une société déshumanisée.

Joseph Incardona
Le monde est fatigué
Finitude
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21 € ; 224 p.
ISBN: 9782363392350

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