Zoom, Facebook, webtv, Youtube...
Les éditeurs changent leur fusil d’épaule et s’investissent dans le marketing digital en organisant des évènements en ligne. Le 8 juin, Robert Laffont convie les professionnels du livre à une émission en direct qui sera tournée sur les plateaux de webtvculture.fr. L’animateur Philippe Chaveau présentera les 9 titres des maisons du groupe à l’aide de vidéos tournées chez les auteurs. "Nous nous sommes inspirés de La grande librairie en mode confinée", explique la directrice commerciale de Robert Laffont, Laëtitia Beauvillain. L’émission sera disponible en replay et l’éditeur compte décliner ses contenus numériques afin d’inscrire dans la durée la promotion de sa rentrée.
Albin Michel réalisera le 22 juin un Facebook live depuis son siège de la rue Huyghens, transformé en plateau de télévision pour l’occasion. Pas de public derrière l’animateur, à nouveau Philippe Chaveau, qui présentera cette fois les neuf romanciers français de la rentrée, présents sur place. "La plupart de nos écrivains habitent à Paris ce qui rend possible leur déplacement", pointe le directeur marketing Mickael Palvin. Les auteurs étrangers enverront leur pastille vidéo enregistrée par eux-même. Tout comme les auteurs participants de la journée Page des libraires, ce lundi 25 mai. Le magazine a changé son lieu de rendez-vous, qui migre ainsi de la BNF à l’espace pro de son site internet. "Nous avons fonctionné comme d’habitude: 21 libraires ont lu en amont les rentrées littéraires de nos éditeurs partenaires, explique Claire Gardet, secrétaire générale de la rédaction, Page de libraires. Lundi, ils défendront leurs coups de cœur et poseront des questions aux auteurs invités. Ces derniers ont enregistré leurs réponses depuis chez eux."
Les supports de diffusion varient entre les différents acteurs de l’édition. Alors que le CDE et Libella postent leur rentrée sur leur chaîne Youtube, Calmann-Lévy donne le choix aux libraires entre deux plages horaires sur l’application Zoom. L’animatrice, Marie-Madeleine Rigopoulos, directrice du Livre sur la Place, entamera un dialogue en direct avec les auteurs.
Réduction des pertes
Moins couteuses, ces campagnes numériques permettent aux éditeurs d’économiser, en moyenne, la moitié d’un budget classique à cette période. "Dans le contexte d'incertitude économique qui plane sur le monde du livre, ce n'est pas à proprement parler une économie mais plutôt une perte diminuée", nuance Bertrand Py, directeur éditorial d'Actes Sud. Cette année, les budgets sont consacrés à l’organisation de webinars [séminaires sur le web, ndlr] et de sites ainsi qu’au tournage de vidéos ou à la recherche de sponsoring.
Les préparatifs ont démarré pendant le confinement. Stock, Grasset, le Seuil, Fayard, Calmann-Lévy, Actes Sud, Robert Laffont ou L’Observatoire entre autres, ont poussé leurs auteurs à se filmer chez eux afin de "rendre vivantes" leur présentation. Ces vidéos sont mises à disposition des libraires sur des sites dédiés, en cours d’élaboration chez Grasset, Stock, Flammarion ou le Seuil. Ou déjà accessibles comme c’est le cas chez Fayard.
Sur ces nouvelles vitrines, les éditeurs ont confectionné des "kits numériques" composés de fiches explicatives avec argumentaires, pastilles vidéos, lectures d’extraits par les auteurs, notes des éditeurs et surtout, épreuves numériques téléchargeables sur des plateformes ad hoc telles Eden ou Netgalley. Des propositions "à la carte" qui laissent le libraire libre de se connecter, de télécharger, de regarder, de lire ou pas chaque rentrée. Le seul éditeur qui fait figure d’exception sur ce plan est Gallimard. La maison d’édition compte dévoiler le 19 juin "en avant-première" une longue vidéo de présentation avec ses 17 auteurs. "Afin de créer un temps fort", la vidéo ne sera pas disponible en replay immédiatement.
Des sacs bien réels et des appels
En parallèle, les représentants des différentes maisons appuient ces campagnes de marketing en présentant aux libraires les dites vidéos lors de leurs rendez-vous. Si les tournées sur le terrain restent pour le moment impraticables, les hôtels étant fermés, les commerciaux devraient progressivement reprendre fin mai. Dans leurs valises, ils emporteront des "colis littéraires", les fameux sacs que les libraires récupèrent à la fin de chaque réunion. "Nous ne diminuons pas les tirages de services de presse", précise le directeur commercial de Grasset, Jean-Marc Levent. Même décision chez Albin Michel où environ 300 sacs seront acheminés. Charlotte Brossier, chez Stock, s’attaque elle aussi au même nombre de sacs, composés de 2000 livres environ tout comme Virginie Ebat chez Calmann-Lévy. Robert Laffont et Gallimard, en revanche, traiteront les envois de SP à la demande.
Et tout le long de ces prochaines semaines, outre l’envoi de newsletter, booklet et livres, les éditeurs ne cesseront de passer des coups de fil aux libraires. "Les temps nous semblent plus appeler au dialogue personnel, qui passe aussi bien sûr par nos relations libraires (...) plutôt que le rassemblement virtuel de solitudes communiant ensemble, à une certaine heure, devant un écran”, estime le directeur commercial du Seuil, Pierre Hild. "Nous devons faire attention, met en garde Laurent Bertail, responsable des relations libraires et salons de Fayard. Les libraires rouvrent après deux mois de confinement et reprennent progressivement. Il faut leur laisser du temps car ils peuvent se montrer réticents devant tant de sollicitations… D’autant que cette année, nous sommes prêts à dévoiler la rentrée plus tôt".
Parenthèse
Benoît Authier, gérant de la Librairie des Batignolles (Paris, 17e), a déjà lu un premier titre de la rentrée littéraire, la nouveauté de Timothée Demeillers chez Asphalte (Demain la brume, 3 septembre). "Même si je ne suis pas très réceptif aux initiatives numériques, mieux vaut ça que rien du tout et j’apprécie les efforts des éditeurs", réagit-il. Il craint toutefois ne pas retrouver dans les vidéos des auteurs, "la spontanéité qu’on perçoit lors des réunions de présentation classiques". Car les rencontres de visu restent irremplaçables et les éditeurs le savent.
Même si, coûteuses en matière de temps et d’argent, elles permettent aux libraires de repérer l’auteur qui "se vend bien en public". Les demandes de séances de dédicaces et de lectures en librairie démarrent en juin. De son côté, l’éditeur "tend l’oreille, flèche aussi le parcours des livres à paraître", relève le P-DG de Grasset, Olivier Nora qui déplore les contraintes imposées par l’épidémie. En l’absence des réunion, "j’ai l’impression de réaliser un travail hors-sol, de lancer des bouteilles à la mer". D’autres éditeurs partagent son avis et espèrent reprendre en août ou septembre des déplacements en province, en format restreint. Car ces lancements numériques n’ont pas vocation à remplacer les réunions de présentation à long terme. "Ce n’est qu’une parenthèse", veut croire Mickael Palvin.