Interprofession

Les bibliothèques, maillon méconnu de l'économie de l'édition indépendante

Médiathèque Nicole Lambert - Photo Christophe Perrucon / Mairie d’Asnières-sur-Seine

Les bibliothèques, maillon méconnu de l'économie de l'édition indépendante

Pour la première fois, des chiffres objectivent la présence de l'édition indépendante en bibliothèque. Avec une part de marché de 3,9 % entre 2020 et 2023 pour 338 éditeurs indépendants, légèrement supérieure à celle de la librairie, l’étude de la Sofia révèle une forte concentration et des marges de progression.

J’achète l’article 9 €

Par Éric Dupuy
Créé le 06.10.2025 à 11h00

Une étude inédite de la Sofia* présentée ce vendredi 3 octobre lors des journées professionnelles du festival Livres d’en haut, à Lille, objective la part de l’édition indépendante dans les achats de bibliothèques. Si l’échantillon de cette première étude est limité, celle-ci a le mérite d'offrir un premier aperçu des rapports de force entre les bibliothécaires et les éditeurs indépendants. 

L’organisme de gestion collective a analysé les données d’achat des bibliothèques de titres provenant de 338 éditeurs affiliés à la FEDEI, la Fédération des Éditeurs Indépendants. Sur la période 2020-2023, ces éditeurs ont généré 17,8 millions d'euros de ventes, représentant 1,2 million d'exemplaires vendus à des bibliothèques issues de onze régions métropolitaines et d'une collectivité d'outre-mer.

Une part de marché stable à 3,9 %

« Jusqu'alors, nous ne pouvions mesurer la place de l'édition indépendante en médiathèque », a déclaré Dominique Tourte, éditeur et membre du collège d'administration de la FEDEI. « Ce travail permet d'arriver à une forme d'objectivation de cette présence », a-t-il affirmé lors de la table ronde de présentation des résultats.

L'étude, lancée après les 2e Assises de la FEDEI à Bordeaux, en février dernier, intervient après la mise en application de la loi Robert de 2021, qui impose aux bibliothèques des collections « pluralistes et diversifiées » représentant « la multiplicité des connaissances, des courants d'idées et des productions éditoriales ». « Par le renforcement de la place de l'édition indépendante en médiathèque, on arrive à toucher cette diversification », a rappelé Dominique Tourte.

Les 338 éditeurs étudiés représentent 3,9 % du montant total des achats des bibliothèques en France, toutes catégories confondues (municipales, départementales, universitaires, associatives). Cette part, légèrement supérieure à celle observée en librairie selon Geoffroy Pelletier, directeur de la Sofia, affiche une « tendance à augmenter légèrement » sur les quatre années analysées, malgré une stagnation du montant global des acquisitions.

Chaque année, ces éditeurs écoulent en moyenne 300 000 exemplaires auprès des bibliothèques, soit environ 950 par structure éditoriale. Le montant médian par éditeur s'établit à 2 000 euros, très en-deçà de la moyenne de 14 000 euros, révélant « une forte concentration au sein même de l'édition indépendante », selon Geoffroy Pelletier.

Une concentration marquée sur quelques acteurs

Les chiffres confirment cette disparité : un tiers des 338 éditeurs concentre 94 % des achats, et les vingt premiers en captent 54 %. « Les dix premiers éditeurs sont des éditeurs jeunesse », a précisé le directeur de la Sofia.

L'étude révèle des disparités selon les types d'établissements. Si les bibliothèques municipales demeurent les plus acheteuses en volume, les bibliothèques départementales de prêt (BDP) se distinguent : elles constituent « un marché pratiquement deux fois plus important pour ces 338 éditeurs que pour l'ensemble des autres éditeurs », a souligné Geoffroy Pelletier. Les bibliothèques associatives affichent également « une appétence un peu plus grande pour l'édition indépendante », bien qu’ayant une part de marché global assez faible. À l'inverse, les bibliothèques universitaires restent en retrait, probablement en raison de catalogues « qui intéressent moins les BU », selon l'analyse de la Sofia.

La proximité géographique joue un rôle mesuré dans les acquisitions. Les bibliothèques d'une région achètent légèrement plus aux éditeurs locaux qu'à l'ensemble du secteur, mais les écarts restent modestes – à l'exception notable de la Bretagne, où « la part de marché des bibliothèques bretonnes est pratiquement trois fois plus importante » pour les éditeurs régionaux.

« Il y a une vraie diversité d'acquisitions de la part des bibliothèques de région auprès de l'ensemble de l'édition indépendante », a conclu Geoffroy Pelletier.

Des marges de progression

Pour Jean-Rémi François, vice-président de l'Association des bibliothèques de France (ABF), ces données s'inscrivent dans une réflexion plus large. « Comment chaque bibliothécaire, dans sa pratique quotidienne, peut travailler à la valorisation de ses collections en étant conscient de son rôle à travers l'ensemble de ces acteurs ? », a-t-il questionné devant l’assistance d’une cinquantaine de professionnels dont des libraires et bibliothécaires.

Soazig Cadio, bibliothécaire à la BPI, a insisté sur le rôle économique des 16 000 bibliothèques françaises. « Nous sommes un maillon indispensable à cette dispersion, face à un monde où 90 % de l'édition appartient à une poignée » d’actionnaires, affirme-t-elle.

En moyenne, 15 000 titres différents de ces 338 éditeurs sont acquis chaque année, témoignant d'une « extrême diversité des politiques d'acquisition », selon le directeur de la Sofia. Cette diversité s'explique par « le travail de relais des librairies qui présentent ces livres » et la gestion par les bibliothèques de « la rareté », comme l'a souligné Soazig Cadio. « Les 10 000 œuvres les plus empruntées représentent moins de la moitié des prêts ».

Geoffroy Pelletier a identifié « une marge de progression » tout en tempérant : « Le 3,9 %, c'est la part des 338 éditeurs, ce n'est pas la part de l'édition indépendante dans les bibliothèques ». Reste à poursuivre le travail en affinant la recherche tout en l’ouvrant aux autres structures éditoriales « indépendantes », dont le nombre oscille entre 1 500 et 7 000, selon les sources.

*Retrouvez l'étude de la Sofia en document lié à gauche de l'article

Les dernières
actualités