Rarement période n'aura été aussi propice à la lecture ! Quand on les interrogeait en 2019 pour le CNL à propos des raisons pour lesquels ils ne lisaient pas davantage de livres, 72% des Français disaient d'abord qu'ils manquaient de temps.
La lecture indispensable
Toute la population n'est pas au chômage partiel mais cela concerne déjà un salarié sur cinq et la proportion croît à un rythme rapide. Confinée, elle n'a plus l'occasion de se disperser dans des loisirs extérieurs au domicile. Mais surtout la lecture de livres répond à une nécessité dans la vie quotidienne des individus confinés. Nous sommes comme des détenus privés de liberté de mouvement et réduits à un espace restreint. La lecture est un moyen de s'évader, de quitter notre univers clôt pour des espaces et des temps lointains. L'immersion dans le monde du texte nous fait oublier notre enfermement et nos identités réduites. Combien d'individus seuls avec (ou sans) enfants trouvent en ce moment dans les livres un réconfort dans ces autres mondes qui les coupent de leur face-à-face avec elles-mêmes ou leurs enfants ? Mais les livres sont aussi des supports majeurs pour divertir les jeunes enfants et l'offre d'albums existe pour satisfaire ce besoin essentiel. Quand ils sont plus âgés ils demandent un accompagnement scolaire pour lequel les parents seraient bien contents de pouvoir se tourner vers la production parascolaire. Et parce que le plaisir de la cuisine est aussi un qui demeure, les livres de recettes seraient bienvenus. Enfin, dans ce monde qui fait l'expérience d'un arrêt prolongé et inédit, les essais proposent des clés de compréhension de notre époque et de la place que nous pouvons y occuper.
Où sont les libraires ?
Cette liste de l'actualité de la lecture de livres est loin d'être exhaustive mais elle suffit à s'étonner de l'absence des libraires. Comment comprendre ce paradoxe d'une situation qui appelle la demande de livres et l'absence des acteurs d'une grande partie de la chaîne ? Non seulement les librairies sont fermées mais elles n'offrent aucune alternative de livraison. La profession a appliqué de façon stricte le principe de confinement au nom du risque sanitaire. Le ministre de l'Economie (et aussi auteur) a tendu la main à la profession pour envisager une dérogation en jugeant que « la librairie est un commerce de première nécessité » tout en maintenant l'injonction de « conditions sanitaires strictes ». Refusant de la saisir, elle dénonce la possibilité pour Amazon de continuer à poursuivre ses activités. Cet argument omet de prendre en compte le point de vue des lecteurs qui ont envie et besoin de livres. Et ils vont inévitablement être attirés vers cette source et pourraient bien y prendre des habitudes. C'est que le confinement n'est pas fini et la position tenable 15 jours ne l'est pas sur 2 mois. La fidélisation est un processus qui se fait et se défait. Comme pour le couple, il suppose une forme de réciprocité. Comment demander aux clients de rester fidèles aux librairies quand ils sont abandonnés d'elles dans ce moment de besoin intense ?
Garder le lien
Bien sûr il n'est pas possible d'assurer la distanciation sociale dans l'espace étroit des librairies indépendantes. L'heure de la flânerie n'est pas encore revenue, patience... En revanche, derrière leurs rideaux de fers, elles regorgent de trésors qui pourraient satisfaire leurs clients. On peut imaginer des modalités intermédiaires dans lesquels les clients viendraient juste chercher les livres en respectant des mesures de sécurité. Nombreux sont les libraires mettant en ligne leur catalogue et ils pourraient choisir à distance. Et la mutualisation des catalogues qui existe à travers le site librairiesindependantes.com offrirait des possibilités accrues et une concurrence à Amazon. Plutôt que de le mettre en sommeil, ce serait celui de le développer et de lui donner toute la visibilité possible.
Ce moment historique met à l'épreuve les structures du monde passé. Elles ne pourront pas rester inchangées. Le numérique ne pâtit pas (ou bien comme victime de son succès) de cette période. D'ailleurs, les ventes de livres téléchargés explosent. Et nos contemporains trouvent sur Internet informations, divertissements et moyens d'expression par lesquels ils donnent son nouveau visage à notre culture. Comment les libraires et les acteurs de la chaîne du livre tous attachés à cet objet physique et au monde qui l'a porté, peuvent-ils laisser un tel champ libre à ce concurrent ? Le monde du numérique n'en demandait pas tant... A ne pas défendre pratiquement une vision du monde, les clients fidèles pourraient finir par douter de la foi de ceux qui s'en disent porteurs.
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