Ce texte, publié hier, visait à lancer un débat et sur ce plan il a plutôt réussi. Il ne visait pas à peiner les libraires et sur ce plan, il a échoué.
A ceux qui se sont sentis insultés et agressés, je présente mes sincères excuses. Il arrive à un moment où de nombreux professionnels se remettent à peine du choc de l'arrêt brutal de l'activité avec le traumatisme qu'il implique pour les salariés coupés de leur cadre de travail et de leurs clients et pour les propriétaires ou gérants qui voient les échéances arriver et le chiffre d'affaire bloqué. A ces soucis professionnels s'ajoutent les angoisses personnelles liés à nos
identités à l'épreuve du confinement. Bref, je comprends et regrette qu'il ait pu produire du désarroi, du mécontentement et de la colère. Il a vu la le jour à partir d'un point de vue et d'une proposition de contribution à une réflexion professionnelle.
Un point de vue
A l'origine de ce blog en 2007 se trouve le souhait de porter le point de vue des lecteurs d'où son nom « du côté des lecteurs ? ». L'idée était que
Livres Hebdo rassemble des institutions du monde du livre qui, à force de parler entre elles, peuvent tendre à oublier l'avis et la vie des lecteurs. Et c'est avec ce point de vue que j'ai appliqué un regard critique et décalé sur les bibliothèques qui a parfois suscité des réactions agacées. C'est que, vues depuis les usagers ou les clients, certaines évidences professionnelles sont peu lisibles. On pourrait parler des horaires d'ouverture, du classement des livres ou du nombre d'exemplaires. Ainsi, dans le texte en débat, quand je pose la question « où sont les libraires ? », je ne délivre pas mon point de vue personnel (sans grand intérêt) mais plutôt j'explicite celui qu'une partie des clients des librairies partage probablement. De même, je ne veux pas dire qu'ils sont réellement abandonnés mais qu'ils éprouvent pour une part ce sentiment.
En relevant le paradoxe d'une demande de lecture sans doute accrue confrontée à des librairies fermées, je veux juste faire exister le point de vue des lecteurs qui n'est pas réductible à celui du client-fidèle-de-la-librairie.
Bien sûr que ces clients existent et ils comptent sans doute pour une bonne part du chiffre d'affaire. Mais on sait que les clients d'Amazon (dont je ne suis pas... pour que ce soit clair) ou de la Fnac se recrutent aussi parmi les grands lecteurs clients des librairies indépendantes comme l'a montré
Vincent Chabault. Depuis son canapé (ou son bureau), à toute heure, il succombe à la fluidité d'une commande en ligne d'un livre papier. L'enquête du CNL montre que cette pratique concerne 48% des acheteurs en 2019 (soit 10 points de plus qu'en 2015). Et, à tort ou à raison, 21% des non acheteurs en librairies estiment qu'elles «
ne permettent pas de commander facilement des livres » (là aussi 10 points de plus qu'en 2015). On peut juger que ces clients « perdus » font preuve d'un consumérisme excessif, signe d'une société matérialiste et égoïste, non viable à long terme. Le libraire doit composer avec le client réel et pas seulement le client idéal, comme c'est le cas pour les bibliothécaires avec les usagers ou les enseignants et les élèves.
Preuves d'amour
L'individu contemporain construit sa relation avec ses institutions non à travers une adhésion a priori à des valeurs abstraites qu'elles portent mais à travers la communication qui s'installe entre lui et leurs représentants. Pour me faire mieux comprendre, parlons du couple contemporain. Celui-ci repose sur l'amour que régulièrement, de façon inégale, chaotique, etc. chacun témoigne à l'autre. Les conjoints ne s'aiment pas parce qu'ils sont mariés mais ils s'aiment et (éventuellement) ils peuvent vouloir se marier mais ça ne sera pas un argument suffisant pour ne plus montrer de signes d'amour.
Le client des librairies ne se rend pas dans une librairie parce que c'est une librairie indépendante qui défend des valeurs abstraites (la Culture : laquelle ? Définie par qui?). Cela peut le conduire à faire le premier pas mais c'est ensuite l'accueil et les services qui lui seront proposés qui seront le support d'une relation personnelle voire d'une fidélisation.
Dans la période (assez longue) que nous traversons, il me semble qu'il est nécessaire non seulement de conserver ce lien mais de lui donner une consistance concrète. Les libraires informent les clients à travers leur page Internet ou leur newsletter et le SLF peut aussi montrer aux lecteurs qu'il se soucie d'eux. La reconnaissance du livre comme bien de première nécessité pourrait être une voie mais qui doit se traduire de façon concrète. Et la créativité des libraires pourrait s'exprimer dans ce domaine. D'où l'idée de commandes que les clients viendraient chercher au seuil de la librairie tout en maintenant de la distanciation sociale
proposée par certains.
Pourquoi pas, dans un deuxième temps, de la livraison à domicile avec les mêmes précautions ? Bien sûr le site l
ibrairiesindependantes.com devrait retrouver vie au plus tôt. Par ces actions, les clients auront la preuve de l'engagement des libraires auprès d'eux dans la diffusion de la lecture. Mais, évidemment, éditeurs et distributeurs ont un rôle essentiel à jouer à leurs côtés en créant les conditions de ce service.