« Droit des images, histoire et société » est le titre du « Rapport sur les régimes de diffusion des images et leur impact sur la recherche, l’enseignement et la mise en valeur des collections publiques » » signé par Martine Denoyelle, Katie Durand, Johanna Daniel et Elli Doilaridou-Ramantani sous la tutelle du programme Images-Usages de l’Institut national d’histoire de l’art et présenté en octobre 2018 à la Fondation de France.
Le grand mérite de ce travail est de rappeler les paradoxes de puissance publique et la situation actuelle des entreprises – éditeurs compris – qui utilisent les images d’œuvres provenant les collections publiques.
Ses auteurs soulignent notamment que, «
avec la transformation numérique et la modernisation de l’action publique, la notion d’un libre accès aux documents administratifs, inscrite dans la loi française depuis 1978, est devenu ces dix dernières années un enjeu politique de premier plan. »
La directive « ISP » du Parlement européen a introduit l’obligation pour les Etats membres de rendre leurs documents administratifs non seulement accessibles à la consultation, mais réutilisables, à des fins commerciales ou non. Ce texte a été transposé par la loi du 28 décembre 2015, qui «
conforte la volonté de la France d’instaurer une véritable politique d’ouverture des données publiques renforçant sa position de précurseur ».
Libre accès?
De fait, en 2016, la loi Lemaire pour une République numérique «
rend également possible le moissonnage de données provenant de bases de données publiques, y compris celles des institutions culturelles. La même année, le programme Horizon 2020 de la Commission européenne comporte l’obligation d’assurer le libre accès aux publications issues des recherches qu’il aura contribué à financer, sous peine de sanctions financières. Avec l’appui de ces textes législatifs et réglementaires, le cadre est dressé pour l’émergence d’un nouveau paradigme sociétal ».
Mais il a été décrété, en 2016, que les bibliothèques, les musées et les archives, ainsi que quelques services publics administratifs, pouvaient maintenir des redevances de réutilisation des contenus provenant des opérations de numérisation des fonds et des collections : «
ce décret donne la possibilité - et non pas l’obligation - de faire peser une partie des dépenses permanentes de numérisation, toutefois nécessaires à l’accomplissement de la mission publique, sur les réutilisateurs. (…) Les établissements culturels, de plus en plus contraints à prioriser une stratégie de développement de ressources propres avant, et au détriment, d’une stratégie numérique, sont peu nombreux à se sentir en mesure de s’engager dans l’ère du partage numérique. Cette situation, préjudiciable aux initiatives digitales, crée aujourd’hui un décalage avec celle qui se dessine au plan international, en grand partie grâce à la montée en puissance du mouvement international ”OpenGLAM” (Open Galleries, Libraries, Archives and Museums), réseau de professionnels et d’institutions cherchant à promouvoir l’ouverture des contenus culturels. »
In concreto, seuls les musées et archives de Rennes et Toulouse sont passés à l’action. Les autres continuent d’essayer de monétiser leurs collections car leurs budgets sont attaqués de toutes parts.
Indépendance des propriétés matérielle et intellectuelle
Soulignons en effet que l’’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle rappelle expressément que «
la propriété incorporelle (…) est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code ».
Le principe est donc clair : la propriété matérielle du support d’une œuvre (tableau, statue, manuscrit, photographie originale, etc.) n’entraîne en rien la propriété des droits d’auteur. Cette règle essentielle, dite d’indépendance des propriétés matérielle et intellectuelle, s’applique également aux œuvres de commande: la commande d’une sculpture à un artiste par un musée n’entraîne aucune transmission au profit de ce dernier des droits d’auteur sur l’œuvre, sauf si cette transmission est expressément prévue dans le contrat. Les musées ne peuvent donc
a priori recéder des droits de propriété littéraire et artistique qu’ils ne possèdent pas.
En pratique, il faut donc distinguer les œuvres encore protégées de celles qui sont dans le domaine public. Les premières, pour être reproduites ou représentées nécessitent logiquement, en effet, l’autorisation du titulaire des droits de propriété intellectuelle, c’est-à-dire de l’auteur ou de ses ayants droit.
Droit d'accès
Quant aux autres œuvres, celles du domaine public, elles sont théoriquement libres de droit et chacun devrait pouvoir les exploiter. Cependant, le propriétaire matériel de l’œuvre peut monnayer un « droit d’accès » et exiger un pourcentage sur l’exploitation de la reproduction. Le droit d’accès est assimilable au droit de pouvoir photographier le tableau dans de bonnes conditions. Il s’agit là, par exemple, de la faculté de poser l’appareil photographique sur un trépied ou de réaliser le cliché hors des heures d’ouverture au public. Un musée ne peut toutefois pas revendiquer de droits sur une photographie, souvent ancienne, qui a été réalisée licitement avant qu’il ne devienne propriétaire de l’œuvre.
Il faut se souvenir que, lors d’expositions, ce droit d’accès est exercé par les propriétaires des œuvres et non par l’organisateur ou le responsable de l’espace d’accueil. Cette règle est également valable dans le cas des simples dépôts d’œuvres. Mais il reste, bien entendu, possible à l’institution muséale qui accueille l’œuvre de se réserver, par contrat, une exploitation commerciale des droits.
En plus d’un droit d’accès aux tableaux qu’ils détiennent, les musées négocient le droit sur les photographies des œuvres, photographies considérées elles-mêmes comme des œuvres. Les photographies en tant que telles sont, en effet, aujourd’hui pleinement protégées par le Code de la propriété intellectuelle sous réserve, bien entendu, de répondre à la condition d’originalité exprimée par la loi. Les reproductions photographiques d’œuvres d’art, même en deux dimensions, sont de plus en plus reconnues, par les juridictions, comme remplissant cette condition.
De plus, les litiges portant sur le droit à l’image ont envahi l’édition de livres et vont jusqu’à concerner, de nos jours, les images de biens, notamment immobiliers. Quelques décisions, souvent liées à des cas particuliers, semblent remettre parfois en cause un telle construction juridique. Il faut cependant rester prudent tant que le législateur ou, à défaut, une jurisprudence constante, aura pour de bon freiné les revendications des propriétaires.
L’avenir proche nous dira si le patrimoine national est destiné à battre monnaie ou à profiter au plus grand nombre, y compris aux éditeurs dits commerciaux, qui ont pour mission de le diffuser.