Clôture ministérielle
Les congressistes n’ont pourtant pas dissimulé leur déception face à quelques absences de poids comme celle du paléoanthropologue Pascal Picq – "Rendez-nous Picq !", pouvait-on lire sur "l’Arbre aux humeurs" de la conférence –, que les bibliothécaires se réjouissaient de pouvoir rencontrer. La ministre de la Culture et de la Communication Audrey Azoulay, remplacée par Martin Ajdari, directeur général des Médias et des Industries culturelles, "pour des raisons d'agenda", mais aussi Alain Abécassis, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ("dont l’avion a été supprimé"), manquaient à l’appel.
Sans Alain Abécassis, Nicolas Georges a dû faire cavalier seul pour cet exercice. Pour ce temps fort du congrès, l’ex-présidente de l’ABF, Anne Verneuil, avait affûté ses questions. Aussi polies que piquantes, les questions portent sur les sujets d’actualité qui secouent la profession depuis quelques années. On aborde le débat récurrent sur l’élargissement des horaires d’ouverture, la réduction des budgets, mais aussi la fermeture – "que nous considérons comme une dérive", selon les mots de la modératrice – de certains départements. Anne Verneuil emmène le haut fonctionnaire sur le terrain glissant de la responsabilité du ministère face aux décisions des collectivités : quid des actions de l’Etat, qui s’est porté garant d’une mission de lecture publique ? "Nous ne vous abandonnons pas", semble dire Nicolas Georges, en filigrane de toutes ses réponses.
Horaires élargis et aides
Le ministère de la Culture est venu rassurer le monde bibliothécaire et réaffirmer son rôle de protection et d’arbitre face aux collectivités. Pour prouver son engagement, Nicolas Georges présente longuement un dispositif de fonds spécial qui sera octroyé aux collectivités désireuses d’élargir les horaires des bibliothèques, qu’Anne Verneuil présente comme une nécessité, "si le projet est solide et bien ficelé". Grâce à ce fonds, l’Etat pourrait prendre en charge jusqu’à 80 % des dépenses liées au projet, et cela pendant cinq ans. "On connaissait l’existence du projet, mais on n’avait pas encore les détails. Pour l’ABF, c’est une bonne nouvelle", se réjouit Xavier Galaup au sortir de la rencontre. Pourtant, des bibliothécaires ne cachent pas leurs inquiétudes : "Cinq ans d’aide, et après ?" lancent-ils, dubitatifs.
Pourtant, pas question de se laisser abattre. Un esprit de résilience, celui qui avait poussé l’ABF à choisir la thématique de l’innovation tous azimuts, "d’un point de vue social, technologique et territorial", détaille Xavier Galaup, a régné pendant les trois jours du congrès. "On ne peut pas dire que l’ouverture du colloque ne nous a pas un peu plombé, avoue Marie Diderich, bibliothécaire de Moulins, mais ce type de rencontre fait du bien, ça nous permet de dialoguer avec beaucoup de gens qui sont optimistes, qui ont envie de changer les choses."
Les ateliers de travail, en petits groupes, propices à l’interaction, ont séduit les congressistes : "C’est aussi ça innover, souligne Flora Gousset, directrice adjointe de la médiathèque de Brétigny, on a besoin de concret, de parler avec les gens, de savoir ce qu’il ont mené, ce qui a marché ou échoué. On a pas l’habitude de faire ça dans nos propres équipes, or l’innovation de la bibliothèque passe par le participatif, l’échange avec le public, il faut qu’on sache le faire entre nous !"
On sort avec des idées qu’on se promet de mettre en place dans sa propre institution, mais aussi avec le sentiment que les choses ont déjà bien avancé. "Lorsque j’ai repris la direction de la bibliothèque de Noisy-le-Grand, les choses allaient vraiment mal, explique Laurence Gaidan, alors j’ai décidé de revoir le projet de service avec tout le personnel, on a revu l’organigramme avec les agents. Je m’aperçois, en écoutant les conférences, que j’ai innové sans le savoir, s’enthousiasme la jeune femme. Cela donne envie de continuer. Je crois de toute façon que lorsqu’on commence à casser les codes, on devient accro à ça, l’innovation, c’est addictif."
Autre mot-clé qui jalonne les commentaires de congressistes : "pluridisciplinaire". L’ABF a choisi de conjuguer "bibliothécaires" avec artistes, designers, politiques, managers au cours de conférences menés par des professionnels venus d’autres milieux, mais qui sont eux aussi engagés dans la problématique de l’innovation. "J’ai eu l’impression de faire un pas de côté, et d’avoir plein d’exemples d’autres secteurs qu’on ne croise pas forcément, raconte Bertille Détrie, élève-conservateur à l’Institut national des études territoriales (Inet), on a besoin d’avoir des regards extérieurs qui peuvent nous aiguiller, et nous inspirer."
Un pas de côté dans d’autres univers, mais aussi au-delà des frontières. Les exemples des bibliothèques finlandaises ou danoises n’ont pas laissé de marbre les bibliothécaires français : "Eux ont vraiment compris que la bibliothèque devait être un lieu social, et c’est vers ça qu’on doit tendre, ici en France", affirme Fiona.
Points noirs
L’ABF a donc réussi le tour de force de mettre en place un congrès innovant et ouvert, à l’image de la bibliothèque de demain. Toutefois, les plus critiques y ont vu "beaucoup de redites, de choses qu’on sait déjà lorsqu’on s’intéresse à la question de l’innovation en bibliothèque", ne manque pas de souligner Pauline Beneteau, jeune bibliothécaire à Lezoux, établissement qui a souvent été cité à titre d’exemple lors du congrès pour son travail de co-construction du lieu avec les habitants.
Autre point noir : le prix du congrès : "400 euros pour trois jours, sans compter les frais de déplacement, d’hôtel et de restauration, c’est un congrès qui revient cher, et je ne suis pas sûre que tout le monde puisse se le permettre, notamment ceux qui travaillent dans de petites bibliothèques, soutient Bertille Détrie. On dit qu’il faut sortir de l’entre-soi, mais le risque, c’est que ce soit toujours les mêmes qui puissent accéder à ce genre de rencontres."