Entretien

John Boyne : « Je me sens moins lié à la nouvelle génération des écrivains irlandais »

John Boyne - Photo Rich Gilligan

John Boyne : « Je me sens moins lié à la nouvelle génération des écrivains irlandais »

Présent sur plusieurs listes de prix en cette rentrée (prix du roman Fnac, prix Femina), l’auteur irlandais du best-seller Le garçon en pyjama rayé John Boyne revient avec un ambitieux roman sur l’abus sexuel, abordé sous ses diverses facettes. Paru le 20 août, Les éléments (JC Lattès) nous embarque à travers quatre récits haletants sous le signe de l’eau, de la terre, du feu et de l’air. Rencontre.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 20.09.2025 à 18h48

Livres Hebdo : Comment avez-vous eu l’idée de construire un livre autour de quatre éléments ?

John Boyne : J’ai écrit pas mal de gros romans et je voulais me lancer un défi en écrivant quelque chose de court. La première partie sur l’eau était destinée à être une novella, j’ai essayé de bâtir une intrigue aussi resserrée que possible. C’est au cours de l’écriture de cette partie que j’ai décidé de l’appeler « eau », étant donné l’omniprésence de l’élément aquatique dans le récit. Au même moment, je me suis dit pourquoi pas décliner l’abus qui est le sujet du livre, en en montrant les diverses facettes – criminel, victime, facilitateur, complice… Chacune renvoyant aux quatre éléments et illustrée par le caractère des protagonistes – glissant comme l’eau, terre-à-terre, brûlant d’une colère retorse, aérien et fugitif…

Malgré les quatre sections qui constituent le livre, l’ensemble est très fluide et on observe une vraie unité…

Dans la plupart des pays où il a été traduit, mon livre a été publié en un seul volume. Je voulais que les quatre histoires puissent se lire indépendamment l’une de l’autre, quoique j’aie imaginé chaque fois une sorte de passage de témoin d’une section à l’autre. Aussi est-ce le personnage secondaire d’une section qui devient le narrateur de la suivante. Dès que l’idée des quatre éléments est venue, j’ai voulu qu’il y ait deux femmes, deux hommes, qui racontent chacune, chacun, leur point de vue. Autre chose que j’ai sue dès le départ : l’une des personnes qui abusent serait une femme, il s’agit de la troisième partie « Feu ». Dans les affaires de pédocriminalité, les coupables sont en très grande majorité des hommes, mais il y a parfois des femmes, je trouvais intéressant de faire entendre une voix criminelle féminine, moins attendue. À part ces deux choses, j’avançais intuitivement. L’important dans l’écriture, c’est la manière organique par quoi se tisse la narration. Une idée en entraîne une autre, sans que ce soit calculé, c’est cette organicité qui crée l’unité du texte.

« J’ai juste envie que mes livres touchent tout le monde »

L’incarnation de vos personnages est un véritable tour de force, comment avez-vous imaginé leur parcours ?

J’ai souhaité que chacun des éléments fasse littéralement partie de la section à laquelle il donne le titre. Pour « Eau », le liquide est l’environnement de Willow, son mari a été maître-nageur, l’entraîneur de l’équipe nationale de natation d’Irlande, les bassins font partie de leur vie, l’Irlande elle-même est une île, entourée d’eau. Evan dans « Terre » a grandi dans une ferme, ses mains sont au contact du sol, au plus près de la terre, il devient footballeur et la terre sera son terrain de jeu, son élément. La protagoniste de « Feu » Freya travaille au service des grands brûlés. Quant à Aaron, dans « Air », il prend l’avion…

Vous vous êtes fait connaître notamment par votre best-seller Le garçon en pyjama rayé (Gallimard Jeunesse, 2007), vendu à plus de 11 millions d’exemplaires dans le monde, adapté au cinéma, au théâtre, en opéra… Les lettres irlandaises ont aujourd’hui le vent en poupe, comment vous situez-vous par rapport à la littérature irlandaise contemporaine ?

Je suis d’une génération coincée entre Roddy Doyle, Joseph O’Connor, Anne Enright… et ces jeunes auteurs, autrices, comme Sally Rooney. Je suis sans doute plus proche des aînés que je respecte énormément, et me sens moins lié à cette nouvelle génération en vue. Et quoique je me sente irlandais, et sois fier de l’être, que je sois de fait un écrivain irlandais, j’aurais du mal à me catégoriser comme tel. J’ai écrit plusieurs livres qui ne se passaient pas dans mon pays natal, mes auteurs de prédilection sont aussi bien Dickens, John Irving, qu’Anne Tyler ou Tim Winton… J’ai juste envie que mes livres touchent tout le monde, la seule chose qui compte pour moi, c’est d’écrire des histoires que, moi-même, j’ai envie de lire et qui me fassent tourner les pages.

John Boyne, Les éléments, traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides, éditions J. C. Lattès, 506 p., 23,90 €

Les dernières
actualités