Un duo nommé Aalto. Il n'est pas rare dans l'histoire de l'art de voir disparaître, si ce n'est de ne jamais voir apparaître, la compagne du créateur quand elle est également artiste. Une forme de cancel culture avant le terme - un effacement des femmes dans un monde qui était largement dominé par les hommes. Cette censément douce moitié artiste n'est pas une égérie mais la composante de la dyade créatrice. Des couples d'artistes font certes figure d'exception : Robert et Sonia Delaunay, Christo et Jeanne-Claude, les Lalanne...

Cet automne paraît chez Phaidon un nouveau titre : Aino + Alvar Aalto. Mais si Alvar Aalto est considéré comme le grand architecte et designer finlandais, on tend à citer moins son épouse Aino. Bâtiments aux lignes pures, vase en forme de flaque d'eau dit « vase Aalto » ou « vase Savoy » (d'après l'éponyme grand restaurant d'Helsinki que le couple a aménagé), table basse carrée, vaisselle en verre dite « Bölgeblick » (expression désignant les cercles concentriques à la surface de l'eau après qu'on y a jeté un caillou)... autant d'équipements urbains, autant de meubles ou d'objets du quotidien - ce fameux design nordique - auxquels le nom d'Aalto est associé. Mais voilà ! pour ce qui est du prénom, on retient plus Alvar qu'Aino.

Concours gagné pour la bibliothèque de Viipuri (1927), présentation de mobilier chez Fortnum & Mason à Londres (1933), exposition au MoMa (1938), construction du pavillon finlandais à l'Exposition universelle de New York (1939)... Justice est rendue à celle qui, avec son mari, allait forger un concept d'un confort moderne dont l'esthétique ne cède en rien à la fonctionnalité. À l'instar d'un Mies van der Rohe ou d'un Le Corbusier, les Aalto s'inscrivent dans le modernisme, mais leur fonctionnalisme élégant apparaît moins en angles, plus organique, respirant le bonheur conjugal et la douceur d'être en famille. Ce volume est signé par leur petit-fils Heikki Aalto-Alanen, ce qui ajoute au regard sur l'œuvre une intelligence intime de cette collaboration. Les carnets d'Aino attestent leur épopée conceptrice, les lettres d'Alvar à Aino témoignent de l'amour des époux, jusqu'en 1949 où l'aventure à deux prend fin avec la mort d'Aino emportée par la maladie.