La Cour de cassation a rendu un arrêt le 30 janvier dernier qui permet de clarifier le droit d’auteur applicable aux contributions de journalistes.
Il s’agissait, come cela est souvent le cas depuis plusieurs années, de savoir si l’entreprise de presse pouvait se considérer comme "propriétaire" des droits sur les articles de ses rédacteurs. En l’occurrence, la société éditrice avait revendu les textes à une société brésilienne et arguait, en premier lieu, que les interviews réalisées n’étaient pas protégeables.
Or, les magistrats considèrent que le journaliste ne s’est pas borné à retranscrire les entretiens, "en ménageant des transitions, afin de donner à l’expression orale une forme écrite élaborée, fruit d’un investissement intellectuel, en sorte que les articles litigieux étaient éligibles à la protection conférée par le droit d’auteur".
La jurisprudence estime en général que les coauteurs sont l’interviewé et l’intervieweur. Néanmoins, si l’une des participations manque d’originalité, élément nécessaire à une protection par la propriété littéraire et artistique, son auteur ne pourra être considéré comme coauteur.
L’intervieweur est seul auteur si les réponses à ses questions sont remarquablement banales ou s’il les a totalement mises en forme. A l'inverse, ce sera à l’interviewé seul que sera accordée la qualité d’auteur si les questions sont banales ou si les propos recueillis n’ont aucunement été retravaillés par le journaliste.
Les juges se sont ensuite penchés sur les engagements écrits liant le journaliste à la société éditrice. Et ont rappelé que le principe dit "d'interprétation restrictive des cessions" s’impose. En clair, l’éditeur ne peut se prévaloir que des droits qui lui ont été expressément cédés. Cela veut dire qu’à défaut de l’existence d’un contrat en bonne et due forme, mentionnant l’étendue géographique, la durée, les supports et les modes d’exploitation envisagés, l’auteur reste seul titulaire de ses droits.
Le journal ne peut d’ailleurs en rien exciper de la propriété matérielle du manuscrit (en version papier ou sous forme de fichier) pour combattre cette règle essentielle de la propriété littéraire et artistique.
Loi HADOPI et cession des droits
Le statut des contributeurs est tout aussi indifférent à la solution juridique apportée par les tribunaux. C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Strasbourg a rappelé, dès 1998, à propos des Dernières Nouvelles d’Alsace, qu’"à défaut de convention expresse avec les journalistes, la cession des droits sur leurs articles étant limitée à une première publication, l’éditeur titulaire des droits sur le journal ne peut autoriser la communication de l’œuvre sur internet ".
Enfin, la Cour a estimé que les articles avaient été créés avant l’instauration de la fameuse loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet », dite « HADOPI », qui comporte des dispositions sur les droits d'auteur des journalistes de la presse écrite.
Les dispositions de la loi HADOPI relatives aux droits d’auteurs des journalistes professionnels viennent en effet mettre un terme à la loi et jurisprudence antérieures, selon lesquelles toute reproduction, quel qu’en soit le support, d’un article déjà publié impliquait l’accord individuel du journaliste (figurant en principe dans le contrat de travail ou un avenant).
Désormais, la cession des droits d’auteurs des journalistes devient automatique, et ce non seulement pour la première publication mais pour toute publication dans le cadre du « titre de presse ».
L'exploitation de l'œuvre du journaliste dans le cadre du "titre de presse" sur différents supports a pour seule contrepartie le salaire pendant une période référence fixée (en considération notamment de la périodicité du titre et de sa nature) par accord d’entreprise ou accord collectif.
Et les nouveaux articles législatifs, inclus à présent au Code de la Propriété Intellectuelle, prévoient la possibilité d’élargir, toujours par accord d’entreprise, le principe de la cession automatique des droits d’exploitation des journalistes sur leur œuvre, à la "famille cohérente de presse", cette fois contre une rémunération complémentaire au salaire.
La Cour de cassation a donc fermement rappelé les limites de ce dispositif.