Elle précise pour Livres Hebdo l’objectif de la consultation ouverte dans ce cadre, et qui sera évoquée ces 4 et 5 avril au Forum de Chaillot. La manifestation rassemble 20 ministres européens de la Culture, et a lieu en même temps que les Premières rencontres des organismes européens du livre, organisées par le Centre national du livre (CNL), au même endroit pour sa première journée.
"Ce que nous avons constaté, c’est que le droit d’auteur doit aller avec son temps, et le temps, c’est Internet, et l’Europe. Nous avons eu plusieurs discussions avec les ministres des Etats membres, le Parlement européen, qui nous ont permis d’observer que certains points de la Directive ne fonctionnent pas très bien. C’était la phase du processus «Licences pour l’Europe», qui a réuni 300 intervenants. Par exemple, quand on achète des contenus numériques dans un pays, il arrive qu’il ne soit pas possible de les utiliser dans un autre, en raison de la territorialité des droits. Autre problème : quelle solution adopter quand un internaute reprend des contenus sous droits, pour une publication personnelle, mais néanmoins sur un site accessible à tous ?"
11000 réponses
Fin 2013, la Commission a ouvert une consultation publique, ouverte à tous dans l’Union. "Nous avons reçu environ 11 000 réponses, dont celles de la moitié des Etats membres, ce qui montre l’intérêt soulevé par cette question. Nous préparons maintenant leur publication sur le site de la Commission, et nous rédigerons un Livre blanc qui sera publié fin juin. Ce sera une sorte de cartographie des arguments, à propos des questions de data mining, du prêt numérique en bibliothèques, de l’aspect juridique de la diffusion sur Internet, etc., tout un spectre d’opinions, sur le fond et suivant les sensibilités nationales".
Ce Livre blanc s’ajoutera aux sept études commandées par la Commission, qui en a publié la moitié et prévoit de les rendre toutes disponibles. "C’est une étape dans le débat ; il y aura une prise de position du Parlement, et du Conseil européen, et le débat continuera. Il est important de créer une perception commune : quels sujets traiter, et à quel niveau ? ", explique Kerstin Jorna, qui ne prend pas position sur la suite, laquelle dépendra de la Commission. Dans sa réponse, la France s’est déclarée très fermement opposée à une révision, à l’unisson des ayants droit de la culture.
7 millions d'emplois
La directrice de la Propriété intellectuelle est bien sûr très sensible aux conséquences économiques de ce cadre juridique : "La culture représente 7 millions d’emplois en Europe, en général très qualifiés". Elle souligne aussi l’extraordinaire profusion de contenus disponibles : "Nous disposons aujourd’hui de 31 millions de titres de musique sur Internet, qui est utilisé quotidiennement par 80 % des Européens. Des nouveaux modèles et modes de distribution sont apparus, qui n’existaient pas quand la Directive a été discutée. Certains disent que ce cadre est assez souple pour intéger ces nouveautés, d’autres jugent qu’il faut des adaptations. Et sur la nature de ces adaptations, il y a aussi des discussions : faut-il des accords de licence et des contrats, des réglementations nationales, ou européennes ?"
"Le droit d’auteur est l’outil qui permet que la valeur de la création soit répartie sur toute la chaine, et que tous les citoyens aient accès à cette création", poursuit Kerstin Jorna. "Mais à la base, il y a les créateurs, pour lesquels un environnement favorable est indispensable. Nous pouvons prendre l’image d’un arbre : les racines, ce sont les créateurs ; si elles sont coupées, ce qui est au dessus ne vivra plus : l’édition, et la circulation des contenus, les opérateurs d’accès à internet, les plateformes de distribution, etc."
"L’objectif, c’est de permettre le financement de la création, et le droit d’auteur est l’outil pour s’assurer du retour sur investissement de cette création. On a tous intérêt à trouver la bonne démarche pour la faire fonctionner. Ce qui serait stérile, c’est un débat sur “oui/non, faut-il faire évoluer le droit d’auteur“. Ayons plutôt un débat sur l’objectif : la diversité, l’échange culturel en Europe… C’est très positif, ce qu’on lit à ce sujet dans les contributions".
Filant la métaphore, Kerstin Jorna ouvre la porte de la cuisine des négociations européennes, entre la cuillère et la soupe : "si on ne discute que de la cuillère, on n’arrive nulle part, ce qui est intéressant, c’est quelle soupe on veut, c’est le rôle du Livre blanc, les directions, les moyens d’y arriver, de trouver un équilibre sur un objectif donné".