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Conflit autour de l’enseigne lumineuse d'une librairie : la décision éclairante de la Cour de cassation

L'enseigne lumineuse en librairie - Photo Olivier Dion

Conflit autour de l’enseigne lumineuse d'une librairie : la décision éclairante de la Cour de cassation

Une affaire concernant l’enseigne lumineuse d’une librairie nous informe sur le droit des contrats en ce qui concerne les travaux. Devis, qualité d’exécution, mise en demeure… la décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation invite à la vigilance dans la rédaction, l’exécution et l’interprétation des contrats d’entreprise. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 13.05.2025 à 16h59

À l’occasion de son arrêt du 9 avril 2025 (n° 23-20.015), la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé deux principes fondamentaux du droit des contrats : d’une part, la résolution judiciaire ne nécessite pas une mise en demeure préalable lorsque l’action est portée devant le juge ; d’autre part, l’obligation de délivrance conforme implique une analyse de la qualité d’exécution, et non la seule conformité aux devis ou plans. Ce double apport, à la fois sur le régime de la résolution judiciaire et sur les contours de l’obligation de résultat de l’entrepreneur, méritait une attention particulière.

L’enseigne lumineuse de la librairie

Le 27 août 2020, la société Librairie du centre a accepté le devis établi le 22 mai 2019 par la société Estampe pour la réalisation et la pose d’une enseigne lumineuse sur trois façades de son local. À la suite de la réalisation de la prestation, la société Librairie du centre a estimé que les travaux exécutés n’étaient ni conformes aux stipulations contractuelles, ni exécutés selon les règles de l’art. Elle a notamment invoqué l’état de vétusté du support en bois, la mauvaise qualité de finition, le décrochage de certains panneaux, ainsi que l’absence de prise en compte des défauts structurels du bâtiment. Elle a ainsi refusé de régler le solde du prix convenu. Face à ce refus, la société Estampe a sollicité et obtenu une ordonnance d’injonction de payer, à laquelle la société Librairie du centre a formé opposition.

Soutenant que les désordres affectant l’enseigne justifiaient la résolution du contrat, la société Librairie du centre a saisi le tribunal de commerce, qui a fait droit à sa demande. Toutefois, la cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 13 juin 2023, a infirmé le jugement et a condamné la société Librairie du centre à payer le solde du prix, estimant notamment qu’aucune mise en demeure préalable n’avait été adressée à la société Estampe pour remédier aux prétendues inexécutions contractuelles. La société Librairie du centre s’est alors pourvue en cassation, contestant cette exigence de mise en demeure dans le cadre d’une action en résolution judiciaire et critiquant par ailleurs l’appréciation de la conformité des travaux par la cour d’appel.

La résolution judiciaire d’un contrat sans mise en demeure préalable

Le premier apport essentiel de l’arrêt réside dans le rappel de la distinction entre les différents modes de résolution d’un contrat pour inexécution. L’article 1227 du Code civil prévoit en effet que « la résolution peut, en cas d’inexécution suffisamment grave, résulter soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en l’absence d’une telle clause, d’une notification du créancier au débiteur, soit d’une décision de justice ». C’est cette dernière voie qu’avait empruntée la société Librairie du centre en sollicitant judiciairement la résolution du contrat la liant à la société Estampe.

La cour d’appel d’Amiens avait néanmoins considéré que la demanderesse aurait dû mettre en demeure le prestataire de remédier aux manquements allégués, sous peine de résolution. Ce raisonnement est expressément censuré par la Cour de cassation, qui rappelle qu’en matière de résolution judiciaire, l’acte introductif d’instance vaut mise en demeure. En d’autres termes, une sommation ou une lettre de relance préalable n’est pas requise lorsque l’action est portée devant le juge. Ce faisant, la haute juridiction sécurise la position du créancier contractuel qui, face à une inexécution, choisit la voie judiciaire sans avoir accompli une formalité préalable.

L’obligation de délivrance conforme : au-delà de la seule conformité apparente

Le second apport fondamental de l’arrêt du 9 avril 2025 concerne l’interprétation de l’obligation de délivrance conforme dans un contrat d’entreprise. En l’espèce, la société Librairie du centre faisait valoir que l’enseigne livrée par la société Estampe était affectée de divers défauts : mauvaise qualité de fabrication, panneaux non jointifs, risques de décrochage en raison d’un support vétuste et infiltré d’eau. Elle soutenait en outre que l’entrepreneur n’avait pas tenu compte des contraintes structurelles du bâtiment. La cour d’appel s’était contentée de constater que les enseignes étaient conformes à la maquette et qu’elles avaient été posées sur des châssis en acier comme prévu dans le devis. Elle en avait conclu à l’absence de manquement contractuel. La Cour de cassation censure cette position en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir examiné si la prestation répondait réellement à l’exigence de conformité fonctionnelle et qualitative, et s’était arrêtée à une conformité purement formelle.

La solution consacrée rappelle que l’obligation de délivrance conforme, en matière de contrat d’entreprise, est une obligation de résultat : l’entrepreneur doit livrer un ouvrage conforme tant sur le plan technique qu’en termes de solidité, d’adéquation à l’usage prévu et de sécurité. Le seul respect des plans ou devis n’épuise pas cette exigence. La haute juridiction invite donc les juges du fond à procéder à une analyse concrète et globale de la prestation livrée, au regard de l’ensemble des stipulations contractuelles et des attentes légitimes du maître d’ouvrage. Le défaut de prise en compte d’un support défectueux, s’il compromet la sécurité ou la pérennité de l’installation, constitue un manquement à l’obligation de délivrance conforme. Cette conception dynamique de la conformité s’inscrit dans l’évolution contemporaine du droit des contrats vers une appréciation plus qualitative de l’exécution, intégrant la finalité économique et fonctionnelle de l’objet livré.

Un créancier de bonne foi

Par cet arrêt du 9 avril 2025, la Cour de cassation offre un double rappel utile : d’une part, la mise en demeure n’est pas exigée pour la résolution judiciaire d’un contrat fondée sur l’article 1227 du Code civil ; d’autre part, l’obligation de délivrance conforme dépasse la simple conformité apparente pour englober la qualité, la sécurité et la durabilité de l’ouvrage livré. Cet arrêt, fidèle aux principes du droit contemporain des obligations, invite à une vigilance accrue dans la rédaction, l’exécution et l’interprétation des contrats d’entreprise, notamment en matière commerciale. Il conforte également la position du créancier de bonne foi, soucieux d’exercer ses droits sans se heurter à des formalismes excessifs.

 

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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