Juridique

Bibliothèque : l'insubordination est un motif de licenciement pour faute grave

L'insubordination d'un bibliothécaire est un motif de licenciement pour faute grave - Photo Olivier Dion

Bibliothèque : l'insubordination est un motif de licenciement pour faute grave

Un bibliothécaire licencié pour faute grave par une association contestait cette décision en vertu du rôle de direction qu’il y avait pris et d’un harcèlement dont il s’estimait victime. La Cour d’appel de Lyon a affirmé la primauté de l’autorité hiérarchique. Explications.

J’achète l’article 1.5 €

Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 12.05.2025 à 10h48

Dans un arrêt en date du 9 avril 2025, la chambre sociale de la cour d’appel de Lyon (chambre sociale A, 9 avril 2025, n° 22/00994) a confirmé le licenciement pour faute grave d’un salarié, engagé au sein d’une association gérant une bibliothèque, en rejetant ses prétentions au repositionnement professionnel, à la nullité du licenciement pour harcèlement moral, ainsi que l’ensemble de ses demandes indemnitaires fondées sur l’absence de cause réelle et sérieuse.

Cette décision, rendue dans un contexte de tensions internes marquées et de gestion associative particulière, éclaire avec rigueur les conditions dans lesquelles des comportements répétés d’insubordination et de remise en cause de l’autorité hiérarchique peuvent légitimer une rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis ni indemnités, même dans une structure à gouvernance collégiale.

Un parcours professionnel engagé mais contesté

Le bibliothécaire avait intégré l’association en janvier 2014 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pour occuper les fonctions de responsable de la base documentaire. Très investi dans les missions culturelles et mémorielles de l’association, il a progressivement revendiqué un rôle de direction, notamment à la suite du départ de la directrice du centre en 2015. Il affirmait avoir, dès lors, assumé l’essentiel des fonctions stratégiques et organisationnelles de l’association, sans que cette évolution ne soit reconnue sur le plan statutaire ou salarial.

Cette revendication s’est matérialisée dans la procédure d’appel, par une demande de requalification de son poste et de revalorisation de sa classification conventionnelle. Le salarié sollicitait un repositionnement au sein du groupe G, voire H, de la convention collective de l’animation, estimant que ses responsabilités correspondaient à celles d’un cadre disposant d’une autonomie complète et d’une délégation de pouvoir permanente. Toutefois, la cour d’appel a jugé que les fonctions réellement exercées correspondaient à celles d’un coordinateur culturel, relevant des groupes D puis E, ce qui était conforme à sa fiche de poste ainsi qu’aux bulletins de paie. Les éléments produits par le salarié, notamment les attestations de collègues ou de partenaires extérieurs, ont été jugés insuffisants pour démontrer une prise effective de responsabilités de direction. La demande de requalification fut ainsi écartée.

Une série de manquements disciplinaires constitutifs d’une faute grave

Le cœur du litige portait sur la légitimité du licenciement prononcé le 18 décembre 2018 pour faute grave. La lettre de rupture, particulièrement circonstanciée, énumérait de nombreux faits reprochés au salarié. L’analyse de la cour d’appel a confirmé leur matérialité et leur gravité, mettant en lumière un comportement globalement incompatible avec les exigences de loyauté, de respect de la hiérarchie et de transparence propres à tout lien contractuel de travail.

Le salarié a d’abord modifié unilatéralement le compte rendu d’une réunion du conseil d’administration, en y insérant un passage décrivant une prétendue attaque personnelle, qualifiée par lui-même de « guet-apens », et contestant l’autorité de ses supérieurs. Cette démarche, contredite par le secrétaire de séance, a été jugée comme une tentative d’instrumentalisation des instances de gouvernance, révélatrice d’un refus de respecter le cadre collégial de l’association.

Plus encore, alors qu’une décision formelle du bureau lui avait retiré l’usage des moyens de paiement, le salarié refusa de restituer la carte bancaire du centre, prétextant qu’elle portait son nom. En arrêt maladie, il se rendit à la banque pour en activer une nouvelle, allant jusqu’à effectuer un retrait. Ce comportement a été interprété comme une violation manifeste d’un ordre hiérarchique, compromettant gravement la confiance placée en lui.

D’autres manquements furent relevés, notamment la fermeture non autorisée du centre un samedi d’ouverture au public, son absence injustifiée pour participation à un colloque sans validation, le refus de communiquer les accès informatiques nécessaires au dépôt de dossiers de subvention, ou encore la signature de conventions engageant l’association, en usurpant la signature électronique d’un co-président. L’ensemble de ces faits traduisait, selon la cour, une attitude récurrente d’autonomie non encadrée, s’apparentant à un rejet de la hiérarchie, alors même que le salarié ne disposait ni de mandat ni de délégation de pouvoir.

Une absence de harcèlement moral au sens du Code du travail

Le bibliothécaire invoquait également un harcèlement moral, estimant que les décisions prises à son encontre, notamment le retrait des moyens de paiement ou certains rappels à l’ordre, traduisaient une volonté de l’isoler, voire de l’humilier. Il versait au débat plusieurs certificats médicaux faisant état d’un syndrome anxiodépressif, d’insomnies et d’un arrêt de travail motivé par un « harcèlement au travail ». Il affirmait que le licenciement constituait une mesure de rétorsion à la suite d’un courrier dénonçant ces agissements.

La cour d’appel a rappelé, conformément à l’article L. 1154-1 du Code du travail, que le salarié devait fournir des éléments de fait permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Les pièces produites manquaient de précision, les documents médicaux reposaient uniquement sur les déclarations du salarié, et les faits dénoncés relevaient, pour la plupart, d’un encadrement normal des fonctions. En l’absence d’agissements répétés portant atteinte à la dignité ou à la santé du salarié, la demande fut rejetée. En outre, il n’était pas démontré que le licenciement constituait une réponse directe à une dénonciation, d’autant que les fautes reprochées étaient documentées et d’une gravité suffisante.

Une confirmation sans réserve de la rupture du contrat de travail

Au terme d’une analyse détaillée des griefs et des moyens de défense, la cour d’appel a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, estimant que le licenciement reposait bien sur une faute grave. Elle a rappelé qu’une telle faute se caractérise par un comportement du salarié rendant impossible son maintien dans l’entreprise, même durant la période de préavis. Le comportement du salarié, notamment sa défiance systématique envers ses supérieurs, son absence de reporting, son initiative individuelle dans la signature de conventions ou dans l’usage de la trésorerie, répondait pleinement à cette définition.

Engagement associatif et respect du cadre hiérarchique

Par sa portée, cet arrêt rappelle avec clarté que l’engagement associatif, même marqué par une forte implication personnelle et une proximité avec le projet culturel, ne dispense en rien de l’obligation de loyauté, de transparence et de respect du cadre hiérarchique défini par les statuts. Le salarié ne saurait, sous prétexte de défendre l’intérêt du projet, se substituer aux instances dirigeantes ou agir en autonomie complète sans en rendre compte. Dans les associations comme dans toute structure employeuse, la gouvernance, même collégiale, implique une organisation claire des responsabilités, que nul salarié ne peut contourner sans encourir de sanctions disciplinaires.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

Les dernières
actualités