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L'indifférence rendue visible par l'escalier de la BnF (lire la première partie de ce texte) s'observe dans d'autres domaines. On se souvient que le wifi a mis du temps à être mis en place faisant de la Bnf un étrange réduit déconnecté là où on s'attendrait à pouvoir, au contraire, disposer d'une bonne qualité de diffusion de l'information... Mais c'est sur la dimension nationale de la Bnf que je voudrais m'attarder et plus particulièrement sur les bénéfices de l'action de la Bnf pour les citoyens de tout le territoire et pour les bibliothèques qui l'émaillent.

Il faut commencer par rappeler que la BnF capte à elle seule une large part du budget du SLL. Pour 2013, elle a absorbé 203 M€ sur les 255 M€ du budget du Service (voir document en pdf) soit 80% ! Dans ces conditions, le ministère ne peut-il pas demander que la BnF prenne part à une action réelle en faveur  des pratiques des citoyens au-delà de celles en lien avec le patrimoine ? Que reste-t-il sinon d'une politique si 80% des ressources sont captées pour une action qui réduit le citoyen à son goût pour le patrimoine ? Bruno Racine et la BnF ne sont-ils pas quatre fois plus dotés que le Nicolas Georges et le Service du Livre et de la Lecture ? En quoi participent-ils aux actions définies par le ministère? Quelle place prend la BnF dans la promotion de la lecture à l'heure où cette pratique est en mutation et en repli pour son support papier?

La Bnf ne répond en rien à cette mutation des pratiques

Cette question du budget est centrale car il s'agit bien de marges de manœuvres extrêmement inégales à l'heure où les finances publiques se réduisent. La population française accède de plus en plus à l'information par l'intermédiaire des écrans. La BnF prend le virage mais en se limitant à rendre accessible des textes anciens ou des expositions. Mais les citoyens veulent d'autres contenus en ligne : presse, livres, musique, film, etc.

Détournant les yeux de ces demandes et se drapant dans sa fonction patrimoniale, la Bnf ne répond en rien à cette mutation des pratiques. Comme si le basculement vers le numérique de l'information pouvait maintenir inchangée les missions d'institutions d'intérêt général définies avant l'arrivée d'Internet... Avec délicatesse, elle laisse chaque bibliothèque territoriale affronter ce virage. On voit ainsi fleurir des portails d'accès à des ressources numériques ouverts par des Départements, Agglomérations ou Communes. Ces collectivités se retrouvent seules dans un bras de fer avec des fournisseurs qui ont les moyens de les mépriser ou de les faire payer le prix fort. Autour de la BPI, ils ont monté une association (CAREL) qui ne dispose pas des moyens ni d'un cadre juridique à même de devenir un interlocuteur crédible. Du coup, ces bibliothèques ne parviennent pas à construire une offre attractive et clairement identifiée. De ce fait, elles sont en passe de manquer le virage d'une offre publique de documents numériques. Gâchis d'énergies et de budgets.

Est-il besoin d'avoir beaucoup réfléchi pour comprendre que les attentes en matière numérique des habitants de Dunkerque ne sont pas éloignées de celles des résidents de Brest, Bayonne, Nice ou Strasbourg ? Pourquoi la BnF ne remplit-elle pas un rôle de fédération d'établissements quand bien même ils sont décentralisés ? Après tout, du côté de l'information scientifique et technique, le CNRS (institution nationale) a fini par rejoindre le consortium Couperin qui négocie avec les fournisseurs de ressources électroniques. Ne faillit-elle pas à sa mission qui comporte (comme elle le rappelle elle-même) depuis sa fondation celle d'être « le cœur du réseau des bibliothèques françaises » ? Comment ne pas se soucier de l'accès de nos contemporains aux collections vivantes alors que son décret fondateur lui demande d' « assurer l'accès du plus grand nombre aux collections » ?

La coopération se réduit à la dimension documentaire autour du dépôt légal ou de la numérisation

Pour l'heure, la coopération se réduit à la dimension documentaire autour du dépôt légal ou de la numérisation sans prendre en compte le point de vue de la population (ses pratiques et ses attentes). Et dans la rubrique « Coopération régionale et action territoriale », il n'est question que de fonds anciens, de numériser la « presse ancienne locale » ou les « publications des Sociétés Savantes »... Quelle est la proportion de la population d'aujourd'hui et de demain qui consultera ne serait-ce qu'une fois ces vestiges d'un passé qui est largement mort ? Quelle disproportion avec la part considérable de citoyens qui, dès aujourd'hui, lisent en ligne, écoutent de la musique ou regardent des films par Internet ! La BnF sait mobiliser les bibliothèques territoriales pour numériser des collections anciennes qu'elle va récupérer dans Gallica en revanche elle ne propose pas de ressources électroniques à celles qui devraient être leurs partenaires au bénéfice des citoyens.

Vu son poids financier, on pourrait s'attendre à ce que la BnF s'intéresse réellement aux bibliothèques territoriales qui sont en contact direct avec la population. Ne serait-il pas légitime et de bon sens qu'elle consulte ces établissements afin d'examiner en quoi elle pourrait leur être utile. Est-ce bien compréhensible qu'ils se tournent vers des bases de données privées pour enrichir leur catalogue plutôt que vers celles de la Bnf ? En quoi cet établissement national accompagne-t-il le réseau de professionnels dans les mutations du monde contemporain en terme de réflexion et d'information ?

Indifférence ou ignorance?

La BnF se révèle donc bien indifférente à l'égard de la population et des autres bibliothèques. Elle semble confortablement installée autour de ces préoccupations patrimoniales, détachée de toute inscription locale et de toute prise en compte de la population telle qu'elle est. Les quelques initiatives des services dédiés aux publics apparaissent comme une forme d'alibi qui ne fait pas disparaître l'impression, fondée et dominante, d'une profonde indifférence. Dans notre monde contemporain, cette dernière est bien vite perçue comme du mépris auquel répond bien justement une défiance.

La Bnf donne ainsi le sentiment d'être une institution fossile qui a vu le jour alors que déjà la population ne croyait plus à un « programme institutionnel » (F. Dubet) c'est-à-dire à la capacité d'une institution à servir un intérêt général abstrait. Peut-être les citoyens doivent être régulés dans leur aspiration à penser le service public comme un service aux publics, mais c'est pourtant bien de cette manière qu'ils pensent et on le voit à propos de l'Ecole ou de la Santé par exemple. Il appartient à la Bnf, comme à d'autres institutions, d'opérer sa mue en prenant en compte les citoyens réels et concrets. Il ne s'agit bien sûr pas de renoncer à la fonction patrimoniale mais de montrer des signes d'une attention à l'autre qui sont la condition de la construction du lien social et civique. Le succès de Zemmour pourrait bien être le produit de l'indifférence tout autant que de l'ignorance... 

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