Ça s'est passé un peu comme ça. Par désœuvrement. Peut-être même un peu par dépit. En tout cas par un hasard qui fait bien les choses. Mars 2020, premier confinement. Victor Pouchet le passe dans la maison drômoise de son ami Hervé Le Tellier. Il se sent incapable de quoi que ce soit, ni de lire ni d'écrire, puisqu'après tout, il faut accepter que, si le temps doit être retrouvé, il soit d'abord perdu. Capable de rien donc, si ce n'est d'écrire quelques bouts de poèmes comme lorsqu'il était ado et se prêtait à ce genre d'exercices qui étaient ceux de son âge, des choses sans importance, sans destination aucune. Comme « Je ne réponds plus/à tes messages/car on dirait/que rien ne presse/Où est la grande aventure ?/Et les romans qui nous dépassent/je les lirai une autre fois/émoji cœur émoji chien/j'espère quand même/que tu vas bien. » Finalement, un livre qui naît malgré soi, malgré lui, Victor Pouchet, et qui raconte une histoire d'une autre façon.
Pour cet encore jeune homme, tout livre procède de toute façon de l'échec d'un autre. En l'occurrence, d'un troisième roman qui tarde à s'écrire. Mais revenons à lui, à ce jeune homme parisien qui a toujours vécu entouré de livres, fils d'un professeur de lettres qui lui lisait ses romans fétiches, de Lancelot du lac à Stevenson en passant par Huckleberry Finn ou Peter Pan (lectures fondatrices vers lesquelles aujourd'hui encore, il revient fréquemment). Bref, pour l'enfant Victor, la fiction régnait en majesté. Plus tard, à l'adolescence, la poésie prendra toute sa place. Il dit : « Dans ma façon d'appréhender le monde, tout était alors en désordre. » Désordre fructueux s'il en est jusqu'à ce que, à la vingtaine, d'autres orfèvres littéraires du sens dessus dessous, Frédéric Berthet ou Georges Perros, ne lui offrent une façon de vivre en ce remue-ménage et éventuellement, d'y écrire. « Avec eux, j'avais trouvé comment ne pas être sérieux dans la liberté de la forme, comment suivre sa voie quelque bizarroïde qu'elle puisse paraître, ainsi que l'idée qu'être écrivain puisse être un modèle d'existence. »
Famille
Le chemin est donc tracé. Pour oser l'emprunter, Victor Pouchet - qui reconnaît volontiers avoir été un bon élève - devra d'abord en passer par Normale Sup à Lyon, obtenir l'agrégation, abandonner une thèse et commencer à enseigner en classe préparatoire littéraire (ce qu'il fait toujours et avec un plaisir revendiqué). De vingt à trente ans, l'âge d'être sage ou de s'en donner l'apparence, il suit sa voie jusqu'à publier enfin son premier roman, Pourquoi les oiseaux meurent, chez Finitude car leur catalogue lui apparaissait comme une sorte d'album de famille... Le deuxième roman, Autoportrait en chevreuil, ne viendra que confirmer cette entrée en fanfare (prix Blù Jean-Marc Roberts 2020).
Victor Pouchet, désormais conseiller artistique à la Maison de la Poésie, proche d'un certain nombre de jeunes plumes parmi les plus influentes de ce temps, de Blandine Rinkel à Lise Charles ou Clémentine Mélois, concède moins un effet générationnel qu'une inquiétude commune par rapport au contemporain. Un besoin de « s'entremêler au regard des autres ». Les autres, ce sont ceux et celles-là, mais aussi Saul Bellow ou le Nabokov d'Ada et l'ardeur, ou encore Marco Lodoli ou Anne Serre. Un paysage qui se dessine comme une famille.
La grande aventure
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 14,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782246829539