Avant-critique Essai

Tim Ingold, "Le passé à venir. Repenser l'idée de génération" (Seuil)

Tim Ingold - Photo © Serena Campanini

Tim Ingold, "Le passé à venir. Repenser l'idée de génération" (Seuil)

Figure de l'anthropologie sociale, Tim Ingold poursuit sa réflexion sur l'interconnexion entre passé et présent afin de redéfinir le concept de génération.

Parution 11 avril

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Par Sean Rose
Créé le 08.04.2025 à 14h00

Lignes de vie. « Comme naissent les feuilles, ainsi font les hommes. Les feuilles, tour à tour, c'est le vent qui les épand sur le sol et la forêt verdoyante qui les fait naître quand se lèvent les jours du printemps. Ainsi des hommes : une génération naît à l'instant où une autre s'efface. » Telle est la vision homérique de la vie qui passe et se transmet. Tim Ingold, professeur émérite d'anthropologie sociale de l'université d'Aberdeen et figure majeure outre-Manche du renouveau de ce champ, propose une autre image : la corde. Liens tressés... Contrairement à l'aède de l'Iliade, l'auteur d'Une brève histoire des lignes (Zones sensibles, 2011) ne considère pas qu'une classe d'âge, nouvelle, plus vivace, balaie irrémissiblement celle qui l'a précédée pour s'assécher ensuite et mourir et laisser place à la suivante.

Livre après livre, Ingold tente de réconcilier présent et passé, nature et culture, sciences et arts, non pas dans un mouvement de réaction nostalgique ni par irénisme mièvre, mais en déployant un regard moins segmentant - une compréhension du monde qui embrasse la complexité des interactions entre les vivants afin de se projeter vers un avenir habitable. Dégager des correspondances entre les choses et les êtres, souligner leurs solidarités intimes, occultées par le vertige du progrès... Ce qui vaut dans l'espace vaut également pour le temps. Dans son nouvel essai Le passé à venir, l'anthropologue britannique poursuit sa réflexion sur l'enchevêtrement des strates temporelles afin de « repenser l'idée de génération. » Le titre original anglais évoque l'essor et le déclin de ce que l'auteur appelle la « Génération Maintenant », « la génération qui a fait main basse sur le présent » et dont les membres sont « tellement occupés à construire le monde, tellement préoccupés par les affaires du moment, qu'ils n'accordent que peu d'attention à leurs aînés ou à leurs jeunes ». Les Lumières, obnubilées par le développement scientifique et technique de l'humanité, en ont oublié l'humain. Nos pas ne s'évanouissent pas au cours de notre marche, les générations ne s'empilent pas « comme des tranches coupées dans le processus de la vie ».

« Génération » au singulier paraît plus adéquat, génération au sens d'« engendrer » ou ce qui s'engendre sans cesse, à l'instar d'un tissage continu, ces nœuds longitudinaux qui ne cessent de fabriquer un maillage en devenir. Aussi Tim Ingold rappelle-t-il l'étymologie commune en latin entre « fille, fils » et « fil » étayant sa métaphore de la corde. Et d'exhorter à « re-centrer anthropos » (« l'humain », en grec) : « Imaginer des générations enchevêtrées s'enroulant les unes autour des autres permet non seulement de renvoyer la race à sa signification première, à savoir la lignée d'engendrement, mais aussi de ramener les humains du sommet au centre [...], en reconnaissant leur responsabilité exceptionnelle dans l'épanouissement du vivant qui les entoure. » Être au centre c'est avoir une grande responsabilité.

Tim Ingold
Le passé à venir. Repenser l'idée de génération
Seuil
Traduit de l’anglais par Cyril Le Roy
Tirage: 3 200 ex.
Prix: 18,90 € ; 252 p.
ISBN: 9782021576948

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