Grand art. L'œuvre de Pierre Alechinsky, l'un des plus grands artistes vivants, est exceptionnelle à tous égards. Par sa longévité, d'abord. Alechinsky le Bruxellois commence à peindre à 20 ans, en 1947. Deux ans après, il rejoint le groupe CoBrA, avec qui il expose : Karel Appel, Constant, Corneille, et surtout Christian Dotremont, à qui le liera une amitié indéfectible, et dont il mettra en images plusieurs livres. Par sa variété ensuite. Typographe de formation, ce dont il n'est pas peu fier, Alechinsky le gaucher est peintre, graveur, sculpteur, écrivain et concepteur de livres. Là réside son autre originalité : depuis toujours, les livres, les siens et ceux des autres, l'accompagnent au quotidien. Grand et fin lecteur, amoureux du papier, de l'objet, il en a conçu, orné plus qu'illustré, plusieurs centaines. Et ces livres font régulièrement l'objet d'expositions, surtout depuis quelques années : « Alechinsky à l'imprimerie » en 2023 à Chaumont-sur-Loire ; « Pierre Alechinsky. Au tour des livres » en 2024 à la galerie Bordas de Venise ; et maintenant « Alechinsky sur papier » au musée bibliothèque Pierre André Benoit à Alès (du 20 juin 2025 au 4 janvier 2026).

Une occasion pour lui de saluer un autre artiste inclassable, Pierre André Benoit, dit PAB (1921-1993), avec qui il réalisa pas moins de vingt-cinq livres, souvent minuscules. Alésien, dilettante et touche-à-tout, PAB fut poète, peintre, éditeur et artisan du livre. Il aimait à se lancer des défis : produire des livres modestes, en dehors des canons de la bibliophilie traditionnelle, pas forcément sur de somptueux papiers à la main, et surtout, aux formats hors normes. C'est ce qui amusait et bousculait les artistes invités à les orner, dont Alechinsky, lequel rappelle, dans un beau texte hommage, comment PAB lui a fait graver un jour, dans un bistrot, au débotté, un tout petit motif sur une feuille d'or lilliputienne. N'oublions jamais, chez Alechinsky, qui a fréquenté Breton et connu la fin du surréalisme, l'humour et le goût de la transgression.

Le présent livre, Alechinsky sur papier, est plus qu'un catalogue d'accompagnement des quelque deux cents œuvres présentées à Alès. C'est un vrai livre avec des textes originaux, une maquette inventive et qui chahute un peu, un jalon, en fait, de ce never ending tour d'une œuvre à la fois exigeante et dont la fantaisie parle à tous. On se prend à rêver d'une exposition exhaustive des livres de Pierre Alechinsky à la BnF. Pour ses 100 ans peut-être ?