Quelque part entre l'Europe et l'Afrique, entre l'Atlantique et la Méditerranée, mais aussi à la croisée des littératures mondiales depuis des décennies, la simple évocation de son nom suffit à Tanger pour envoûter n'importe quel voyageur. Un nom revient forcément lorsque l'on évoque la cité marocaine et sa dimension littéraire : celui de la mythique librairie des Colonnes, ouverte il y a soixante-dix ans par la famille belge Gerofi et toujours aussi active au cœur de la vie culturelle tangéroise.
Le syndrome de Tanger
« La librairie est née un jour d'été 1949, quand le monde entier se donnait rendez-vous à Tanger. Elle s'est imposée depuis comme un lieu de culture, ouvert et pluriel, où les arts et les lettres se retrouvent », raconte Simon-Pierre Hamelin, son directeur depuis quinze ans, également écrivain, éditeur et directeur de la revue littéraire Nejma. « Samuel Beckett, Jean Genet, Juan Goytisolo, Tennessee Williams, Truman Capote ou Paul Morand l'ont fréquentée. Gallimard en fait l'un de ses comptoirs, Jane et Paul Bowles leur boîte aux lettres, Mohamed Choukri sa salle de lecture, Tahar Ben Jelloun sa bibliothèque, et pour tous les Tangérois et visiteurs de passage, elle devient un refuge de l'esprit », ajoute-t-il.
Et ils sont nombreux, les visiteurs pour qui Tanger constitue la destination littéraire par excellence. La ville va même jusqu'à donner son nom au « syndrome de Tanger », déclenchant chez les écrivains qui s'y rendent des comportements extravagants (folie, déni de soi, invention d'une nouvelle identité, retournement de toutes les valeurs) liés aux fantasmes littéraires que la ville suscite chez eux.« Cela fait des libraires des gardiens d'un temple où l'on vénère des divinités aux langues et de civilisations différentes, observe Simon-Pierre Hamelin.La Librairie des Colonnes est une des stations principales du pèlerinage à Tanger, cité littéraire avant toute chose et comme il en reste si peu aujourd'hui. »