Surprise : le marché des guides touristiques est en net repli. Voilà le principal enseignement des données fournies par GFK pour l'année 2024, cela après deux années d'exceptionnelle embellie au sortir de la crise du Covid-19. En volume, le marché perd 6,3 % et, en valeur, il affiche 3 % de perte par rapport à l'année précédente.
Un recul important et surprenant au regard des chiffres de bonne santé de l'industrie du voyage sur la même année, que chaque acteur de l'édition touristique interprète différemment : conjoncture politique instable en France pour les uns, impact de la loi Darcos sur les frais de port du livre pour les autres, incertitudes géopolitiques mondiales et effet JO pour les troisièmes... « De manière générale, je crois que nous avons tous été surpris par l'ampleur du repli », résume Dominique Bovet, directeur éditorial de Lonely Planet France. « Mais ses raisons sont extérieures aux mondes du tourisme et de l'édition, et c'est une grande chance », veut croire Philippe Gloaguen, créateur et directeur du Routard.
Cette baisse de régime se reflète avant tout sur la première destination touristique des Français : la France. Les ventes de guides touristiques hexagonaux reculent de 13,1 % en volume (et jusqu'à 37 % pour Paris), et de 10 % en valeur. Devant, les guides Europe résistent un peu mieux (-6 % en volume, -3 % en valeur) et, confirmant la tendance de l'an passé, les guides monde limitent le mieux la casse, reculant de seulement 2 % en volume, et gagnant même 0,6 % en valeur.
Moins de France, plus d'Asie et d'Europe du Nord
Des constats qui se vérifient globalement dans les ventes des leaders du marché. « L'effet météo et la conjoncture difficile en France, couplés aux prix de la destination, ont accéléré le recul des ventes. Le monde, porté par la reprise du tourisme international et des trafics aériens, nous a permis de sauver la mise, et nous continuons à investir dans ce sens : plus sur le monde que sur la France », confirme Philippe Orain, directeur des guides Michelin Voyage et Cultures. « Malgré la baisse, la France reste évidemment leader de nos ventes avec la proche Europe. Mais l'appétence pour l'Asie, à l'exception de la Chine et de l'Inde, est certaine et surprenante », ajoute Philippe Gloaguen.
La tendance, déjà forte, des voyages en Asie se renforce en effet, grâce à des destinations beaucoup plus abordables que la France et l'Europe. Il se murmure que, pour les périodes de pointe, il est plus économique d'aller une semaine au Japon, vols compris, que dans un camping du sud de la France... Tokyo, Vietnam, Thaïlande ou Indonésie : toutes ces destinations font partie des plus grands succès de l'année des éditeurs.
« Nos deux cartons de 2024 ont été l'Albanie et le Japon, que nous avons dû réimprimer d'urgence au bout de quatre mois. C'est rare que l'on se fasse surprendre ainsi », raconte Dominique Bovet. Surprise japonaise que confirment à l'unisson ses confrères, tout comme la montée en puissance des destinations d'Europe du nord. « La Norvège a été la grosse surprise de l'année chez nous, et l'Europe du Nord a presque pris le pas sur les destinations traditionnelles d'Europe du sud », glisse Philippe Orain chez Michelin. La Laponie, l'Écosse ou l'Irlande ont aussi fait leur entrée dans le top ventes de plusieurs éditeurs.
La bataille du beau livre
Au-delà des mises à jour incessantes des guides, les éditeurs continuent de miser sur les beaux livres et les albums illustrés grand format. Malgré le fort recul des ventes sur le segment (-20 % environ en volume comme en valeur sur les ventes de beaux livres France en 2024) et les risques économiques que le format implique, la bataille reste féroce et l'investissement continu. C'est le cas avant tout du Routard (Randonnées en Europe, 1 000 expériences autour du monde, 30 city-trips en train en Europe...), qui veut transformer l'essai des succès surprises qu'ont été ces dernières années Voyages (140 000 exemplaires écoulés d'après l'éditeur) et Les 50 plus beaux voyages à faire dans sa vie (90 000 exemplaires).
« C'est une stratégie qui vient en complément des guides, une façon de compenser une certaine érosion du marché », analyse-t-on à la direction de Lonely Planet France, maison qui continue (comme les autres) de miser sur des albums illustrés axés sur l'itinérance, le vélo, les micro-aventures, la randonnée... « C'est un segment dynamique du marché qui, même s'il est en recul, pèse toujours lourd en valeur. Nous allons continuer de lancer beaucoup de titres, sur le train, sur l'Asie, sur les vacances en pénichette... », décrypte Hélène Firquet, directrice éditoriale de Gallimard Loisirs. « Le format est propice à l'inspiration, mais c'est une stratégie qui doit être raisonnable et se faire avec beaucoup de sens », ajoute Cécile Petiau, directrice éditoriale pour l'Illustré chez Hachette tourisme, maison qui a édité avec succès Voyager en train avec HOURRAIL fin 2024.
Pour d'autres, l'exercice reste trop périlleux. « Je n'arrive pas trop à voir le modèle économique de l'illustré et du beau livre, pour moi c'est un axe de communication plus qu'autre chose », tempère Louis Auzias, directeur général du Petit Futé, maison qui ne produit que des beaux livres en marque blanche pour le compte d'acteurs du tourisme.
Pas de répit pour la création
Le tassement général du marché n'empêche en rien ses principales firmes de continuer leur évolution, entre refontes graphiques, mises au point esthétiques ou lancement de nouvelles collections en accord avec des tendances qui perdurent : cyclo/ moto, voyages en train, nature, et toujours itinérance, vélo, micro-aventures et randonnée... Quand Le Routard fait le pari de rééditions de plus en plus serrées de ses guides, Hachette Pratique mise sur la dynamique de ses guides Petaouchnok et Simplissime, sur la nouvelle maquette de ses mythiques Guides bleus (trois titres par an) et sur le lancement fin mars de la collection de carnets « Food Lovers Travel », présentant « la crème de la crème » des adresses dans les grandes villes, d'après Cécile Petiau.
Après un changement de nom l'an passé, les guides Michelin ont, eux, procédé à un changement de taille, avec de nouveaux ouvrages plus légers et nécessitant moins de papier, mais toujours avec le même contenu. Les éditions Michelin, désormais dirigées par Jean-Baptiste Passé, lancent deux nouvelles collections au mois de juin, sans plus de précisions pour le moment. Sa direction indique aussi être très concentrée sur ses chantiers de digitalisation, systématisant la sortie de ses guides en ebook, mais aussi sur le centenaire du Guide vert qui marquera l'année 2026.
Certains parient sur des changements plus profonds : Voyages Gallimard refond complètement son offre (voir par ailleurs), quand Glénat ouvre ses guides de randonnée à l'hébergement et aux expériences avec « Mon week-end rando clé en main ». « On amène à nos guides de rando une dimension touristique », raconte Aurore Belluard Lebaigue, directrice adjointe du secteur Livre de Glénat. D'autres se lancent de nouveaux paris éditoriaux à l'instar des guides du Nomade ou des très littéraires guides de L'arbre qui marche, rédigés par des écrivains et qui se « dévorent comme un roman ».
Chez Lonely Planet, l'accent est actuellement mis sur la refonte, sur le fond et la forme, de la collection « En quelques jours » s'intéressant aux courts séjours. « Nous allons rééditer 57 titres dans une nouvelle forme », annonce Dominique Bovet. « Deux nouvelles collections verront également le jour au printemps : l'une sur les plus beaux road trips, l'autre sur un premier guide pour les enfants (lire par ailleurs) », ajoute-t-il. Concomitamment à Lonely Planet, notons que le groupe Editis compte relancer en 2025 sa marque En voyage éditions, avec une collection baptisée « 500 adresses et lieux secrets ».
Du côté du Petit Futé et de ses 840 destinations dans 192 pays, se poursuit la refonte des guides entamée l'an passé, en misant toujours sur le pointu, avec par exemple la relance d'un guide sur la Corée du Nord. Le guide fondé par Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette en 1976 indique avoir bien résisté à 2024 grâce à ses ventes en B2B en agences de voyages, et continue d'enregistrer des tops ventes à rebours de ses concurrents : Philippines, Nouvelle-Zélande, Cap Vert et Ouzbékistan.
Vent d'optimisme pour 2025
Autant de raisons d'espérer un retour à la croissance pour 2025. « Il faut redynamiser le rayon sans arrêt, les lecteurs attendent toujours du plus ciblé », indique Cécile Petiau chez Hachette. « Nous espérons que le marché français va enfin se stabiliser. Ailleurs, les tendances de voyage sur l'année sont très encourageantes. Nous comptons sur le fait que 75 % de la génération Z a prévu de voyager en 2025, soit 5 % de plus que l'an dernier », se réjouit Philippe Orain.
Ceci avec une priorité qui fédère tous les acteurs du secteur, à l'ère des réseaux sociaux et de l'intelligence artificielle : la qualité des guides, réalisés en grande majorité par des auteurs résidants sur place. « L'humain est la clé face à l'IA, et c'est très important que nous le mettions en avant », lance Louis Auzias. « Plus vous faites des rééditions serrées, plus vous vendez. Les gens sont maintenant tellement pointus avec les réseaux qu'on ne peut pas vendre n'importe quoi. Le seul secret, c'est la qualité, point », abonde Philippe Gloaguen.
« Après une fin d'année catastrophique, sur janvier nos ventes sont très bonnes, depuis que nous avons un Premier ministre. Je suis très optimiste pour ce début d'année qui va être excellent, et c'est confirmé avec les chiffres des tour-opérateurs », poursuit-il. « Tant qu'il n'y a pas de blocage mondial, tout ne peut que bien se passer ! », résume enfin Dominique Bovet. Avant de conclure, au nom de tous ses confrères : « Nous restons optimistes par nature, sinon nous ne travaillerions pas dans le monde du voyage... »