La question est vaste comme le champ de notre ignorance. Savoir ce que nous sommes revient à faire la somme de tout ce que nous ne savons pas. Siri Hustvedt contourne élégamment le problème en passant par la case personnelle. L'auteure américaine, épouse de Paul Auster, a souvent abordé dans ses romans les soucis de personnalité. On citera Les yeux bandés (Actes Sud, 1993), L'envoûtement de Lily Dahl (Actes Sud, 1996) ou La femme qui tremble. Une histoire de mes nerfs (Actes Sud/Leméac, 2010). « J'occupe un espace transitionnel », explique-t-elle. Autrement dit, il existe une interaction permanente entre elle et les autres. Elle ressent ainsi des sensations tactiles et visuelles en miroir. « Je partage la météo émotionnelle et les états d'âme changeants des personnes avec lesquelles je suis. »

Chargée de cours en psychiatrie à l'université Cornell, dans l'État de New York, elle a aussi animé un atelier d'écriture dans une institution psychiatrique. Outre la philosophie, notamment celle de la perception chez Merleau-Ponty, elle fait appel à de nombreux travaux en neurosciences pour comprendre cette frontière poreuse qui existe entre soi et l'autre. « Nous sommes nés d'une autre personne et nous sommes ouverts aux autres dès la naissance. » C'est alors que ça se gâte avec ces interactions dont nous ne comprenons pas toujours le sens car « nous jugeons nos vérités non seulement en recourant à la logique mais aussi de façon émotionnelle ».

Songeries et interrogations

Dans ces textes de haute volée, l'écrivaine évoque de multiples problèmes qui vont des schizophrènes ayant du mal à utiliser les pronoms personnels jusqu'au temps ressenti qui n'est ni celui des horloges ni celui de la physique. En réalité, ces chemins repassent toujours par le carrefour de la littérature. « L'œuvre qui se trouve en face de moi est à la fois la mienne et pas la mienne. Je m'absorbe dans des songeries et je m'émerveille. J'interroge mes réactions. Je prends le temps. » Or, prendre le temps, c'est le suspendre.

Avec cet essai qui aborde les questions du roman, des personnages, de la création, de la lecture, nous entrons dans la tête de Siri Hustvedt. « Ni l'autre personne ni moi-même ne sommes un livre ouvert. » Et pourtant, nous entrevoyons le subtil mécanisme qui se met en place entre soi et autrui. Et les interrogations fusent : pourquoi en lisant des auteurs, sentons-nous que cela sonne juste ? Qu'apportons-nous au texte quand nous le lisons ?

Ces « essais sur la condition humaine » en disent long sur celle de Siri Hustvedt. Ce titre clôt un cycle de trois livres parus en un seul volume aux États-Unis et publiés séparément par Actes Sud, Les mirages de la certitude (2018) et Une femme regarde les hommes regarder les femmes (2019). Sur cette question, « Que sommes-nous ? », posée depuis la nuit des temps, les philosophes et les prophètes ont répondu avec plus ou moins de justesse. Mais on voit que ceux qui ont tenté l'approche la plus complexe, la plus vertigineuse, ce sont encore les écrivains.