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La Cour d’appel de Paris vient de condamner un éditeur qui avait retenu plus de 50 000 euros de droits dus en vue de les compenser avec d’éventuels dommages-intérêts liés à un procès en diffamation en cours. L’auteur de cet essai politique (aux prises avec un de ses personnages qui le poursuit aux côtés de son éditeur) avait du  recourir aux juges pour faire juger cette compensation illicite : l’éditeur doit donc verser les droits et pourra, si nécessaire, se retourner, le temps venu et avec élégance, contre son auteur.

Certes, la même juridiction avait déjà rendu un arrêt, le 6 juin 2012, dans un conflit opposant un auteur à un éditeur, aux termes duquel les juges acceptaient certaines formes de compensation des comptes entre plusieurs ouvrages.

Il est en effet souvent tentant pour une maison d’édition de compenser les différents comptes d’un auteur dont plusieurs ouvrages sont à son catalogue. Mais cela n’est légalement possible que dans des cas bien précis et toujours sur la base de contrats adéquats.

Les éditeurs ont d’autant plus tendance à vouloir compenser les comptes de leur auteur qu’ils le mensualisent parfois ou lui attribuent un à-valoir global pour l’ensemble de sa future production, sans distinguer si telle somme se rapporte à tel livre ou à tel autre.

L’attrait de la compensation peut donc tenir à des raisons purement économiques – dans le but de rattraper une avance un peu trop généreuse – ou résulter d’un « souci » de simplification administrative. En pratique, la compensation s’applique entre les comptes négatifs et positifs issus de différents contrats d’édition, mais aussi parfois entre les comptes de droits d’édition et ceux des droits d’adaptation audiovisuelle.

Certes, le Code civil dispose en son article 1290 que « la compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement à l’instant même où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ». Quant à l’article 1291, il précise que « la compensation n’a lieu qu’entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles », ce qui signifie en particulier que l’existence des dettes doit être certaine (et non éventuelle) et leur montant déterminé.

Il est cependant illicite de compenser directement dans le compte de l’auteur les ventes d’un titre et les retours d’un autre. Les comptes de chaque livre doivent en effet être tenus de façon autonome. En revanche, une fois les comptes établis ouvrage par ouvrage, les dettes croisées pourront être compensées. Mais ne seront considérées comme des dettes de l’auteur auprès de l’éditeur que les véritables à-valoirs (c’est-à-dire des sommes contractuellement « remboursables ») et qui ne peuvent donc s’analyser comme des « minima garantis », acquis définitivement. 

De plus, un jugement rendu le 30 mai 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris dans une affaire opposant l’auteur de trois livres et son éditeur a mis un frein sérieux aux compensations entre méventes de livres et cessions miraculeuses de droits d’adaptation audiovisuels.

L’écrivain reprochait à sa maison d’édition d’avoir opéré une compensation globale entre les droits qui lui étaient dus au titre de l’exploitation de l’adaptation audiovisuelle d’un de ses ouvrages et les comptes de tous ses autres livres.

L’éditeur arguait notamment du mutisme du Code de la propriété intellectuelle (CPI) sur la notion d’à-valoir. Il soutenait également que le contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle n’a pas de cause autonome au contrat d’édition : en clair que l’un étant attaché à l’autre, leurs économies étaient donc perméables.

Mais les magistrats ont retenu en défaveur de l’éditeur que l’article L. 131-3 du CPI exige un écrit distinct pour le contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle, qui ne peut plus être signé sur le même document que le contrat d’édition. Cette règle a été imposée par la loi du 3 juillet 1985, pour lui conférer un aspect autonome, dans le but de faire prendre conscience aux auteurs de l’enjeu financier représenté par ces droits dérivés.

Les contrats litigieux contenaient tous une clause en vertu de laquelle « les sommes revenant à l’auteur en cas d’exploitation des droits d’adaptation audiovisuelle de l’œuvre, dont la cession fait par ailleurs l’objet d’un contrat signé entre les mêmes parties, viendront en amortissement de l’à-valoir prévu au présent acte ».

Les juges n’en ont eu cure : « la compensation contractuellement prévue en l’espèce est de nature à favoriser une confusion entre droits d’édition et droits d’adaptation audiovisuelle que les dispositions » légales « ont entendu empêcher ».

De plus, la rédaction de ces clauses était très imparfaite, puisque, « par ailleurs, il n’a été prévu par aucun des contrats de cession des droits audiovisuels que les droits d’auteur y afférents pouvaient compenser l’ensemble des à-valoirs versés au titre de tous les contrats d’édition et de cession des droits d’adaptation audiovisuelle propres à chaque roman. (…) en conséquence, il apparaît que l’éditeur a entendu s’affranchir, en dépit des dispositions légales et contractuelles, de l’économie distincte de chaque contrat en opérant la compensation globale entre à-valoir et droits perçus en exécution de l’ensemble des contrats ».

La compensation ne peut donc pour l’heure être envisagée sereinement que si les sommes versées par avance constituent bel et bien des dettes de l’auteur, que chaque contrat d’édition prévoit une balance générale des comptes avec ceux des autres livres, et ce à l’exclusion de toute imputation sur les recettes tirées de la cession des droits d’adaptation audiovisuelle. 

En fait, la clause de compensation des comptes est valable pour l'édition de livre dès lors que l'à-valoir est une avance sur redevances, n'est pas qualifié de minimum garanti, et que la clause est expressément mentionnée dans le contrat d'édition.

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