Un parfum de femme règne dans le meilleur de l'autofiction (en est-ce vraiment d'ailleurs et non pas plutôt des objets impurs où la mise en scène est moins de soi que d'une pensée et donc d'un style ?) littéraire d'aujourd'hui, d'Annie Ernaux à Maggie Nelson. À ces noms, qu'elle revendique par ailleurs et parmi d'autres, il conviendra désormais d'ajouter celui de Deborah Levy, qui publie en cette rentrée les deux premiers volumes (le troisième et dernier est en cours d'écriture) d'une trilogie autobiographique qu'elle sous-titre Une autobiographie vivante. Ces deux courts volumes se répondent et se transgressent l'un l'autre.
Le premier, Ce que je ne veux pas savoir, se veut d'abord une réponse féminine, féministe au Pourquoi j'écris de George Orwell. Deborah Levy répond à la question par un incessant mélange de questionnements, mais aussi de mises en situation, de souvenirs, de ces fragments épars qui constituent le tableau déchiré d'une vie d'écrivaine. « Je fais l'hypothèse que ce que nous ne voulons pas savoir est ce que nous savons de toute façon et refusons de regarder en face, écrit-elle. Pour Freud, ce désir de ne pas savoir ce qu'on sait s'appelle refoulement ». Le texte qui nous mène d'une maison isolée à Majorque à l'enfance dans l'Afrique du Sud de l'apartheid en passant par l'Angleterre, pays d'adoption, est sans cesse âpre, tendu vers une vérité qui ne se laisse jamais facilement approcher.
Il en va de même du Coût de la vie, qui pourrait en être une suite, au moins dans les idées, plus apaisée, où l'humour ne se laisse pas plus oublier que la mélancolie et qui saisit l'auteure dans son présent de femme et d'écrivaine. Elle y évoque une séparation, avec le père de ses enfants, les joies pérennes de l'amitié, celles ontologiquement intrigantes de la maternité, sans oublier jamais d'en passer par le kaléidoscope de la littérature. L'intelligence fascinante de Deborah Levy y fait feu de tout bois. Elle s'appuie sur quelques grandes œuvres matricielles comme celles de Simone de Beauvoir (le passage où elle s'interroge sur les raisons pour laquelle celle-ci a fini par refuser le destin amoureux que lui proposait son amant américain Nelson Algren est magnifique) ou surtout de Marguerite Duras, dont elle souligne la nécessaire sécheresse sans concession. Et puis ces mots : « Cette façon que nous avons de rire. De nos propres désirs. Cette façon que nous avons de nous moquer de nous-mêmes. Pour devancer les autres. Cette façon dont nous sommes programmées pour tuer. Nous tuer. Mieux vaut ne pas y penser.» L'écrire, en revanche...
Ce que je ne veux pas savoir
Ed. du sous-sol
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 16,50 euros ; 144 p.
ISBN: 9782364684508
Le coût de la vie
Ed. du sous-sol
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 16,50 euros ; 160 p.
ISBN: 9782364684546