Hervé Le Tellier, Goncourt 2020 pour "L'anomalie" (Gallimard). - Photo Olivier Dion
"Quelque chose s’est passé de l’ordre du phénomène" : retour sur "L'Anomalie" d'Hervé Le Tellier
Auteur discret de la rentrée littéraire, Hervé Le Tellier, évoque le succès croissant de son roman L'Anomalie, paru le 20 août chez Gallimard, prix Goncourt trois mois plus tard et leader des ventes avant Noël. De l'agent à l'éditeur, histoire d'un roman singulier qui vire au phénomène.
"Sur cinq personnes à qui je dédicace, quatre me disent qu’elles n’ont jamais rien lu de moi, l’Anomalie est devenue visible, infiniment plus que tous mes livres antérieurs". Proclamé par visioconférence, le Goncourt a été attribué à L'Anomalie d’Hervé Le Tellier (Gallimard), le 30 novembre dernier. Près d'un mois plus tard, si l’auteur ne sait pas si on peut parler de "phénomène", il confie à Livres Hebdo qu'il trouve ça "toujours aussi dingue".
Rédigé en à peine un an et demi, le livre rencontre un succès croissant depuis sa parution, le 20 août. L’histoire se déroule en juin 2021. Tous les passagers d’un vol Paris-New York vont vivre un événement qui va bouleverser leur existence.
Depuis la proclamation du Goncourt, le lauréat domine les meilleures ventes du classement hebdomadaire GFK/Livres Hebdo, devenant l'un des cadeaux de Noël les plus vendus toutes catégories de produits confondues. Initialement, Gallimard avait effectué un tirage prudent de 12000 exemplaires. Son éditrice Karina Hocine comptabilise désormais 720000 exemplaires tirés avec une demande de réimpression de 100000 exemplaires pour atteindre le 4 janvier 820000 exemplaires. Plus de 300000 exemplaires sont déjà vendus selon GFK.
Un roman "singulier"
L'histoire est construite autour de deux aspects importants : "un thème littéraire avec beaucoup de personnages et parallèlement, une question thématique de fond avec une confrontation au double, parallèlement à la virtualité", explique Hervé Le Tellier. C’est l'hypothèse Bostrom, du nom du philosophe suédois, évoqué dans le roman. L'idée qui y est développée est simple: Des simulations informatiques sophistiquées des esprits humains peuvent mener à un double univers parallèle.
Divisé en en trois parties, L’Anomalie présente plus d’une dizaine de protagonistes. Une décision qui avait inquiété. "L'éditeur n’était pas persuadé qu’il était possible d'en avoir autant, mais les personnages sont très identifiés. Ils sont posés sur un damier puis répartis selon leurs genres, âges et vies sociales. Cela me facilite la tâche car une fois que j’ai dit, par exemple, que j’avais une jeune avocate noire, qui vient de tel milieu social avec un cadre très précis, ça va très vite".
Le récit commence par Blake, "un père de famille respectable et tueur à gages", avant d’enchaîner sur les différents protagonistes. "Je trouvais ça drôle de commencer par un roman noir. Il me permet de commencer par une phrase très courte qui résume, on s’en rend compte à la fin, toute l’histoire".
Proclamation du Goncourt sur Zoom avec Hervé Le Tellier, lauréat, et Antoine Gallimard- Photo OLIVIER DION
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Parmi les personnages du roman, il y a Victor Miesel, un écrivain traducteur, assez discret qui rencontre un succès posthume. "Ce n'est pas moi, je me suis inspiré de deux auteurs disparus et deux vivants, c’est une manière de construire un romancier à partir de 4-5 individus, comme un patchwork". On trouve par exemple Edouard Levé, qui s’est suicidé en 2007. Les deux individus toujours en vie sont des amis "qui se reconnaîtront".
Un réussite à l'international
"À sa lecture, toute la maison a été emballée par sa singularité et sa virtuosité. Nous avons en effet, dans cette période si étrange d’après confinement, envisagé un moment d’en avancer la publication pour lui donner ses chances dès le début de l’été. Toutes les saisons ont leur vertu pour sortir un tel livre. Mais il est vrai que l’automne l’a mis en piste pour le Goncourt”, témoigne Karina Hocine. C'est le premier roman d’Hervé Le Tellier publié dans cette maison d’édition, après avoir suivi l'éditrice de JC Lattès à Gallimard. Un pari gagné pour la maison d’édition qui remporte avec l’écrivain son 38ème prix Goncourt.
La réputation de Gallimard fait partie des facteurs qui font de son roman un succès, croit l'écrivain. À l’étranger, le livre fait état de 34 sessions à la mi-décembre confirme Judith Rosenzweig, responsable des droits étrangers à Gallimard. Avant l’obtention du Goncourt, le roman s’était déjà vendu dans une vingtaine de pays. Le succès croissant qui entoure le récit d’Hervé Le Tellier a même provoqué des enchères au Brésil et au Pays-Bas. Malgré le contexte de crise sanitaire liées à l’épidémie de Covid-19, les éditeurs étrangers sont "convaincus par la qualité du roman qui nous présente à la fois un thriller psychologique, qui flirte légèrement avec la science fiction, tout en ayant une écriture très élaborée", analyse Judith Rosenzweig.
D’autres pays restent encore à conquérir pour L’Anomalie, tels que Taiwan, les pays scandinaves (excepté la Norvège) ou encore la Géorgie. En plus des sessions à l’étranger, Hervé Le Tellier a signé une option pour une adaptation audiovisuelle avec Médéric Albouy, un producteur de 2.4.7 Max, filiale de 2.4.7 Film, avant la parution de l’ouvrage. L’écrivain aurait apprécié le profil international du producteur rapporte Laure Pécher, agent littéraire qui accompagne l’écrivain.
"Quelque chose de l'ordre du phénomène"
L’auteur pense qu’une combinaison d’éléments a permis à son livre de connaître le succès. "Dans une rentrée, qui était une bonne rentrée, le livre pouvait détoner, il a un côté assez atypique, puis avec le confinement, le livre permettait de s’évader du réel, il propose une expérience de pensée pour se balader. Enfin, le bouche à oreille s’est installé", énumère Hervé Le Tellier, qui met également en avant le travail de son éditeur et de son agence.
Depuis 2011, Hervé Le Tellier est suivi par l’agence Astier-Pécher Literary & Film Agency. Pierre Astier explique avoir vu en lui "quelqu'un qui n’est pas comme les autres, un écrivain différent, très original dans son approche de l'écriture et dans l’univers qu’il déploie". L'agent était inquiet à la mi-septembre face à un démarrage assez lent et une presse assez timide. "Chaque année il y a les livres qu’on voit venir, et il y a des outsiders tels que L’Anomalie qui trace son chemin". Celui qui a été élu meilleur agent de l’année 2019 à la Foire de Londres explique avoir analysé et décrypté chaque chose lue et entendue. Au cours de l’automne, quand le livre se trouve sur six listes de prix (Médicis, Renaudot, Décembre...), "quelque chose s’est passé de l’ordre du phénomène, un livre qui part doucement et monte en puissance constante".
L'après Goncourt
"Je passe mon temps en libraires, là je suis parti me reposer à la campagne", confesse Hervé Le Tellier. Âgé d’une soixantaine d’années, l’ancien mathématicien ne compte pas changer sa manière de travailler, ni ses projets qui sont déjà en cours. L’auteur, président de l'Oulipo, groupe de littérature innovante et inventive, a signé une trentaine d'ouvrages, entre poésie, récits érotiques et romans. "Je n’ai jamais fait le même livre donc je ne compte pas faire une suite ou un retour de L'Anomalie".
Depuis 10 ans, il travaille sur près de 80 contes, une partie parue dans, Contes liquides (édition de l'Attente, 2012), qui a reçu le prix de l'humour noir en 2013. Ce travail est actuellement étoffé par l’écrivain pour arriver à terme à 300-320 contes. Des projets au théâtre sont également poursuivis.
Selon l'agent, "il a mis tout ce sur quoi il a travaillé depuis des années, donnant aux membres de l’Oulipo une validation". Hervé Le Tellier est plus modeste: "le but de l'Oulipo ce n'est pas d'être consacré, c’est un groupe discret, de temps en temps des œuvres sont visibles… Je suis content de la visibilité que nous avons soudain acquise mais ce groupe qui existe depuis 60 ans, n’est pas un mouvement qui a vocation à s'agrandir".
Dans les médias cette semaine, « La Bande originale » reçoit Zep et Marc Lévy, Lilia Hassaine s'entretiendra avec Rebecca Lighieri, et Europe 1 accueille Grégoire Bouillier.
Adossées à l'événement « Un Automne à buller », les rencontres « BD en régions », organisées par le Syndicat national de l’édition, se sont tenues vendredi 15 novembre au Havre (Normandie). L’occasion pour les professionnels du livre de promouvoir un « formidable outil pédagogique », capable d’amener de potentiels lecteurs au livre et à la culture.
Par
Élodie Carreira
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