Chronique Juridique

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (III/III)

Le code pénal - Photo AFP

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (III/III)

Le droit d’auteur est, encore et toujours, remis en cause, au motif qu’il s’opposerait à la liberté de création, et donc à la liberté d’expression.

Première partie

Deuxième partie

Le 8 juillet 2015, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, avait présenté son projet de loi « relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ». Après les attentats de janvier, les créateurs et les journalistes pouvaient en attendre un acte fort.

Las, il est proclamé dans le texte proposé un premier et bien maigre article disposant que « la création artistique est libre ».

Un éditorial signé par la ministre est inclus dans un dossier de presse qui paraphrase grandement l’exposé des motifs.  Il y est asséné qu‘« il ne s’agit donc pas seulement de réaffirmer la liberté de création : il s’agit de la rendre possible. De renforcer sa protection et les moyens de sa transmission.

Rendre la liberté de création possible, c’est d’abord apporter des réponses et être au fond fidèle à une méthode : j’ai donc voulu une loi qui change les choses de manière concrète, et qui permettra la mise en œuvre de mon projet politique. » S’en suit un résumé très hâtif de cette loi fourre-tout attendue depuis ces années par certains milieux de la culture,  et qui se conclut par cette antienne : « Libérer, protéger, partager, telle est mon ambition.
Je veux que les artistes, précisément parce qu’ils sont des esprits libres, aient la loi pour eux. »

Il est ensuite affirmé, dans une sorte de sommaire, que « l’Espagne, l’Angleterre, l’Autriche reconnaissent par la loi la liberté des artistes et des créateurs. Pas la France. Avec la loi, la nation consacrera la liberté de création au même titre que la liberté d’expression, la liberté de la presse ou la liberté de l’enseignement. C’est une fierté et une nécessité dans la France de l’après-Charlie. »

Et, dans une deuxième résumé, tout aussi incantatoire, proche de la méthode Coué, incantatoire : « Mesure 1 : affirmer le principe de liberté de création.

Cette mesure forte est une consécration du principe de liberté de création artistique, qui tire sa force du principe constitutionnel de la liberté d’expression. Contrairement à de nombreux pays européens tels que l’Autriche, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal ou encore les pays d’Europe centrale, ce principe, qui constitue un enjeu majeur de notre démocratie, n’a encore jamais été formellement consacré en tant que tel dans le droit français. La Cour européenne des droits de l’Homme fait elle aussi explicitement référence au fait que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées ou d’opinions indispensables à une société démocratique » (CEDH, 24 mai 1988, Müller c/Suisse). Cette reconnaissance législative est essentielle à l’heure où l’environnement de la création artistique connaît de profondes mutations, qui se traduisent par de nombreuses remises en cause affectant la liberté de créer, les choix artistiques des créateurs ou des programmateurs et plus généralement le rapport du citoyen à la culture. ».

Rappelons que la liberté de création est déjà contenue, implicitement dans les principes afférents à la liberté d’expression.

Selon l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par lui ».

Or, la Déclaration de 1789 est toujours en vigueur en droit français, car elle est visée dans le préambule de la Constitution de la IVème République, lui-même visé par le préambule de celle de la Vème République : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946. »

La liberté d’expression, de pensée et d’opinion est de plus officiellement assurée par la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1948) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966). Mais elle repose essentiellement aujourd’hui sur deux textes majeurs : notre chère Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, datant de 1950 (ratifiée par la France en 1974 seulement) ) - ces deux textes sont à lire avec attention, car ils comportent des bémols ayant permis le vote de nombreuses lois de censure portant sur la vie privée, la présomption d’innocence ou encore la récente apologie du terrorisme.

La loi de 2016 n’ajoute par conséquent rien à tous ces textes qui sont de valeur supérieure en droit. Sauf à porter crédit au fait de réinventer la roue.

Au final, son article premier affirme que « la création artistique est libre ».

Le deuxième article a modifié le texte de l’article L. 431-1 du Code pénal. Celui-ci disposait déjà que « le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. 

Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice d'une des libertés visées aux alinéas précédents est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ».

La loi du 7 juillet 2016 y ajoute un alinéa, indiquant que « Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Le texte de 2016 a donc une portée plus symbolique qu’effective, mais a sans doute rendu encore plus confuse et contradictoire la distinction à opérer entre la notion de liberté d’expression et celle de  droit d’auteur.

Et ce alors que celui-ci a été pensé, au milieu du XVIIIème siècle, comme une sorte de  salaire de l’auteur… et de son éditeur ou producteur, les redevances étant donc nécessaires pour que la création soit financée. Et ce sont deux lois, votées en 1791 et 1793, qui assoiront définitivement l'émergence de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la conception française du droit d'auteur, envisagé sous la forme d’une « exception » : « un ouvrage publié est de sa nature une propriété publique », écrivait-on dans le rapport préfigurateur à ces lois, laissant ainsi la liberté d’expression reprendre une grande partie de ses droits à l’arrivée d’une oeuvre dans le domaine public.

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