Chronique Juridique

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (II/III)

SYLVAIN LEFEVRE Hans Lucas via AFP

Quand le droit d'auteur et la liberté d'expression s'opposent (II/III)

Le droit d’auteur est, encore et toujours, remis en cause, au motif qu’il s’opposerait à la liberté de création, et donc à la liberté d’expression.

 

Première partie

Certains spécialistes s’étaient déjà surtout émus d’une décision du Tribunal de grande instance de Paris rendue le 23 février 1999, dans une affaire où s’opposaient France 2 et un héritiers d’Utrillo - et qui avait été portée elle-aussi en cassation pour aboutir à un résultat inverse.

Les magistrats de première instance avaient retenu le raisonnement de la chaîne, qui invoquait la Convention européenne, en concluant qu’« un reportage représentant une œuvre d’un artiste uniquement diffusé dans un journal télévisé, de courte durée, ne porte pas atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’autrui puisqu’il sera justifié par le droit du téléspectateur à être informé rapidement et de manière appropriée d’un événement culturel constituant une actualité immédiate en relation avec l’œuvre de son auteur ».

Un autre arrêt de la Cour d’appel de Versailles, rendu le 16 mars 2018, mis en place une « grille de lecture pour apprécier la balance des intérêts en présence ». Et de juger qu’il résultait « des faits de l’espèce que la recherche d’un juste équilibre entre la liberté d’expression de l’artiste peintre, qui ne justifiait pas que l’utilisation sans autorisation des photographies était nécessaire à son exercice, et le droit d’auteur du photographe justifiait qu’il soit condamné à lui payer des dommages et intérêts en réparation des contrefaçons commises ».

Les arguments liés à la liberté d’expression ont été repris à leur compte par la défense du célèbre plasticien Jeff Koons poursuivi pour avoir contrefait une photographie dans le but de réaliser une sculpture baptisée Naked.

Le Tribunal de grande instance de Paris n’a pas suivi ce raisonnement dans son jugement du 9 mars 2017, ce que la Cour d’appel a entériné le 17 décembre 2019.

Enfin, l’affaire du clip de campagne d’Éric Zemmour a donné lieu, là encore, à de longues arguties autour de la liberté d’expression. Le Tribunal judiciaire de Paris, a, le 4 mars 2022, souligné que « la liberté d’expression ne venait pas justifier l’atteinte aux droits moraux des auteurs des films contrefaits ». Elle « doit s’exercer dans le respect des autres droits fondamentaux tel que le droit de propriété, dont découle le droit d’auteur ».

Le jugement revient sur la « balance d’intérêts » à prendre compte lorsque s’opposent la liberté d’expression et la protection du droit d’auteur. Les exceptions au principe de notre si chère liberté reconnu en droit constitutionnel et communautaire sont en effet possibles, dès lors qu’elles sont prévues par la loi comme l’est le droit d’auteur. En l’espèce, le bénéfice de la courte citation n’étant pas reconnu aux défendeurs, ceux-ci ne peuvent se prévaloir de l’exercice de la liberté d’exception.

C’est le même critère de finalité que les juges utilisent ici, rappelant que les extraits ne constituent pas le propos de la vidéo litigieuse et qu’ils auraient pu être remplacés par d’autres extraits libres de droits. Le clip de campagne ne constitue dès lors pas un moyen d’expression sur les œuvres qu’il cite en guise d’illustration, mais dont il ne discute pas.

On l’aura compris : la confusion est grande car les idées sur la liberté de création reviennent à la mode chez les gouvernants comme dans les prétoires. Pas toujours pour le meilleur.

 

(à suivre)

Les dernières
actualités