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Eric Zemmour et son clip de campagne aux prises avec le droit d'auteur

SYLVAIN LEFEVRE Hans Lucas via AFP

Eric Zemmour et son clip de campagne aux prises avec le droit d'auteur

Par un jugement rendu le 4 mars 2022, le Tribunal Judiciaire de Paris a condamné Éric Zemmour au versement de la somme de 70 000 euros pour contrefaçon de droits d’auteur et atteinte au droit moral. C’est une décision riche d’enseignements pour toutes les entreprises et institutions culturelles.

L’utilisation d’images par le candidat à l’élection présidentielle dans son clip de lancement de campagne, sans autorisation des titulaires de droits, est notamment l’occasion de revenir sur la pratique parfois complexe du droit d’auteur.

C’est le 30 novembre 2021 que le journaliste et essayiste Éric Zemmour officialisait sa candidature - alors déjà largement pressentie -, par la publication d’un clip intitulé « Je suis candidat à l’élection présidentielle » sur ses pages Facebook, YouTube, et Dailymotion, ainsi que sur les sites internet « Zemmour2022.fr » et « lesamisdericzemmour.fr ».

Dans ce clip teinté de nostalgie d’une certaine France d’antan, allant du patrimoine historique médiéval à l’esthétique des années 60, apparaissent, en arrière-plan, de nombreux extraits d’œuvres audiovisuelles très diverses. Sur un fond de septième symphonie de Beethoven s’enchainent, entre autres illustrations et reportages, des images tirées des films Un singe en hiver d’Henri Verneuil, Jeanne d’Arc de Luc Besson, Le Quai des brumes de Marcel Carné et Jacques Prévert, Louis Pasteur, portrait d'un visionnaire de Alain Brunard ainsi que de Dans la maison de François Ozon.

Les auteurs et ayants droits de ces œuvres, au rang desquels l’on trouve notamment les sociétés Gaumont et Europacorp, soutenus par la SACD (Société Des Auteurs Et Compositeurs Dramatiques), ont assigné Éric Zemmour, l’Association Reconquête ! - anciennement Les Amis d’Éric Zemmour – et le représentant de celle-ci François Miramont, devant le Tribunal Judiciaire de Paris.

Les mécanismes de responsabilité

Parmi les points de procédure soulevés par la défense avant le débat au fond, figurait d’abord la demande consistant à déclarer l’action irrecevable pour ce qui concernait les personnes d’Éric Zemmour et de François Miramont. L’argument tendait à faire déclarer ces derniers irresponsables vis-à-vis de la publication du contenu litigieux, avant même que ne soit débattu de son caractère contrefaisant.

Posant la question de  la responsabilité du créateur et administrateur d’une page Facebook et YouTube, le premier élément de défense soulevé par Éric Zemmour concernait l’absence de précisions quant à la qualité en laquelle il était assigné. Il ajoutait que, si c‘était en qualité de dirigeant, aucune faute personnelle de sa part n’était prouvée. Le Tribunal de Paris rejette cet argument, indiquant simplement qu’il était poursuivi, en tant que créateur et administrateur des pages Facebook et YouTube.

Quant à la responsabilité du titulaire du nom de domaine, le débat portait sur François Miramont. Assigné en qualité de Président de l’Association Reconquête !, celui-ci faisait valoir qu’il ne l’était plus à la date de publication du clip de campagne en question.

Le Tribunal le déclare néanmoins responsable, en rappelant la cascade des responsabilités prévues par la Loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Son article 6 III.-1. impose en effet aux éditeurs d’un service de communication au public en ligne de mettre à disposition de celui-ci toutes les informations permettant de l’identifier ou de le contacter. En l’espèce, les mentions de ce type manquent. Le tribunal indique alors qu’à défaut, c’est le titulaire du nom de domaine – ici bel et bien François Miramont - qui est déclaré responsable de la publication. Il importe donc d’être vigilant : le simple fait d’être titulaire du nom de domaine d’un site internet, même pour le compte d’une entité telle qu’une association, suffit à se rendre responsable de ses publications, sans pour autant être encore nécessairement responsable de ladite entité.

Venait ensuite pour les juges, comme point à examiner soulevé par la défense, le statut de la republication via hyperlien ou lien hypertexte. En effet, l’association Reconquête ! demandait que son irresponsabilité soit reconnue, au motif que le clip litigieux ne pouvait être visionné directement sur le site internet « zemmour2022.fr ». Le Tribunal rejette cet argument, relevant que l’apparition d’une fenêtre « pop-up » permettait de lancer la vidéo très facilement. Il ajoute par ailleurs que le simple fait de permettre l’accès en connaissance de cause à une œuvre potentiellement contrefaisante, via hyperlien, suffit à engager la responsabilité de l’éditeur du site internet.

La qualité pour agir des auteurs

L’intérêt à agir est une condition essentielle pour toute instance devant nos tribunaux et conduit à se pencher sur les règles en matière de droit d’auteur.

En vertu de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), l’œuvre audiovisuelle est par nature une « œuvre de collaboration ». Cela signifie que notre droit reconnaît l’œuvre audiovisuelle comme résultant du travail d’une pluralité de coauteurs, sans que ceux-ci ne travaillent ensemble en même temps.

En l’espèce, les défendeurs arguaient du défaut d’intérêt à agir concernant Juan Mayorga, auteur de la pièce de théâtre Le Garçon du dernier rang, ayant inspiré le film Dans la maison, ou encore pour les ayants droit de Jacques Prévert dont les écrits constituent une part importante du scénario du film Quai des brumes. Le Tribunal rappelle tout d’abord qu’en vertu de l’article L113-7 du CPI, « lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d'une œuvre ou d’un scénario préexistant encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle ».

Il ajoute ensuite une solution pour le moins intéressante : « (…) en cas de représentation non autorisée d'une partie de l’œuvre audiovisuelle, ces derniers n'ont pas à démontrer une atteinte spécifique à leur contribution, qu'il s'agisse de la musique du film ou des dialogues par exemple, pour que l’atteinte à leur droit moral soit constituée ». Cela signifie donc qu’en théorie, il n’est pas nécessaire au compositeur de la bande originale, ou à l’auteur des dialogues d’un film de prouver que leur contribution propre est contrefaite, dès lors qu’ils souhaitent agir en contrefaçon de l’œuvre globale.

Il en serait donc de même d’un coauteur d’un livre, qu’il soit écrivain, photographe, illustrateur, etc.

L’exception de courte citation et la liberté d’expression

L’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) encadre les exceptions au principe de monopole d’exploitation par le titulaire des droits patrimoniaux sur une œuvre. Parmi celles-ci se trouve notamment l’exception de courte citation, dont l’application à l’audiovisuel est d’ailleurs extrêmement rare et encore discutée.

Comme son nom l’indique, l’exception de courte citation permet de citer un extrait d’une autre œuvre sans en détenir les droits patrimoniaux, à condition d’abord que celui-ci soit court, tant par rapport à l’œuvre citée qu’à l’œuvre citante. Il n’existe pas de critère fixe permettant une telle mesure, qu’il revient à la jurisprudence d’apprécier de manière casuistique.

En l’espèce, les défendeurs demandaient à bénéficier de l’exception de courte citation pour voir s’écrouler l’action en contrefaçon. Si le Tribunal Judiciaire reconnaît effectivement la brièveté des extraits cités comme entrant dans le champ d’application de l’exception de courte citation, il rejette pourtant celle-ci, s’appuyant sur un autre critère.

La courte citation doit en effet, pour être licite, être justifiée par le « caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information » de l'œuvre à laquelle elle est incorporée. L’absence de visée informative ou pédagogique est reprochée au clip de campagne d’Éric Zemmour, qui n’entretien aucun dialogue avec les œuvres citées. La décision du 4 mars livre là un précieux critère d’appréciation :

« Pour que l'utilisation puisse en effet, être qualifiée d'informative, comme le soutiennent les défendeurs, encore faudrait-il que l'information dispensée ait trait aux œuvres auxquelles les extraits litigieux ont été empruntés or, celle-ci est exclusivement axée sur la candidature d’Éric ZEMMOUR à la présidence de la République. »

Par ailleurs, le jugement rappelle la « balance d’intérêts » à prendre compte lorsque s’opposent la liberté d’expression et la protection du droit d’auteur. Les exceptions au principe de notre si chère liberté reconnu en droit constitutionnel et communautaire sont en effet possibles, dès lors qu’elles sont prévues par la loi comme l’est le droit d’auteur. En l’espèce, le bénéfice de la courte citation n’étant pas reconnu aux défendeurs, ceux-ci ne peuvent se prévaloir de l’exercice de la liberté d’exception.

C’est le même critère de finalité que les juges utilisent ici, rappelant que les extraits ne constituent pas le propos de la vidéo litigieuse et qu’ils auraient pu être remplacés par d’autres extraits libres de droits. Le clip de campagne ne constitue dès lors pas un moyen d’expression sur les œuvres qu’il cite en guise d’illustration, mais dont il ne discute pas.

Les crédits et le droit au respect du nom

Le droit au respect du nom est visé à l'article L. 121-1 du CPI, disposant que l’auteur peut exiger, à l'occasion de toute exploitation de son œuvre, la mention de son nom. La couverture, la pochette ou encore le générique doivent donc comporter l'entier patronyme de l'auteur ; chaque photographie doit être « créditée » et chaque texte signé.

Cette exigence de la mention du nom de l'auteur perdure même lorsque celui-ci a cédé l'ensemble des droits patrimoniaux relatifs à son œuvre, ainsi qu'en cas d'utilisation d'un pseudonyme. Elle s'impose également, en théorie, à tous les documents promotionnels de l'œuvre : affiches, encarts publicitaires, ...

Cette obligation est aussi valable à l’occasion de courtes citations comme il en est fait dans le clip de campagne d’Eric Zemmour. La décision du Tribunal Judiciaire rejoint le droit fil de la jurisprudence. Car il était argué par la défense que l’exigence de mention du nom était satisfaite, dès lors qu’était inséré un lien hypertexte en description des vidéos, dirigeant les utilisateurs vers une page de crédits sur le site internet du candidat. Outre le fait qu’il ne ressortait pas des constats d’huissier que cette page était effectivement accessible au moment de la mise en ligne, les juges se sont penchés sur le contenu de cette page pour l’invalider. Celle-ci ne contenait non pas la mention du nom des auteurs des extraits mais simplement des liens, menant aux sources des vidéos reproduites. Étaient donc crédités ceux qui avaient mis les extraits en ligne à priori et non leurs créateurs. Cette décision rappelle qu’il ne faut pas s’arrêter à la simple citation de ses sources qui, aussi louable soit-elle, ne remplit pas les exigences du droit à la paternité des œuvres citées.

Le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre utilisée dans un clip de campagne

Le CPI, en son article L. 121-1, prévoit un droit au respect de l’œuvre au rang des attributs moraux de l’auteur. Ce droit au respect de l’intégrité porte autant sur le fond (changement de la destination ou du sens du discours) que sur la forme (changement du rythme, coupe d’extraits décisifs, etc.).

Il n’est pas défini plus précisément par la Loi : c’est à la jurisprudence qu’il revient d’en tracer les contours.

Si cette composante du droit moral est un outil de protection très efficace pour les auteurs, il revient cependant à ceux-ci de prouver qu’il y a bel et bien une dénaturation. En l’espèce, les juges ne retiennent pas les coupes faites dans les films cités comme étant automatiquement attentatoires à leur intégrité, les demandeurs ne précisant pas en quoi il y a eu dénaturation.

Les magistrats soulignent néanmoins qu’il y a bel et bien une atteinte à l’intégrité des œuvres, mais sur un autre fondement :

« En revanche, c'est à bon droit qu'ils font valoir que les extraits ayant été utilisés pour accompagner le discours de candidature d’un homme politique, ce comportement porte atteinte au droit au respect de l'œuvre et en constitue une dénaturation dès lors que détournées de leur finalité première, qui est de distraire ou d'informer, les œuvres audiovisuelles ont été utilisées, sans autorisation, à des fins politiques. »

Peut donc porter atteinte à l’intégrité d’une œuvre artistique, dépourvue de visée politique, le clip de campagne la citant en guise d’illustration.

Les suites de l’affaire Zemmour

Le candidat à l’élection présidentielle a fait savoir le jour même qu’il ferait appel de la décision du Tribunal Judiciaire de Paris. L’arrêt qui sera alors rendu promet d’être intéressant, qu’il confirme ou infirme au contraire les solutions de première instance en matière de droit d’auteur. En tout état de cause, la vidéo, déjà visionnée par plus de 3 millions d’utilisateurs, n’est plus disponible sur la chaine YouTube d’Éric Zemmour pour le moment. L’hébergeur n’a en effet pas attendu l’arrêt d’appel pour en confirmer le retrait le 10 novembre, après avoir pris connaissance du jugement du Tribunal Judiciaire.

 

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