Chronique Juridique

La concurrence entre auteur et éditeur

Olivier Dion

La concurrence entre auteur et éditeur

Une maison d’édition peut-elle concurrencer son auteur ?

La Cour d’appel de Paris a tranché cette épineuse question le 11 mai 2021, dans un litige qui opposait un auteur à son éditeur souhaitant publier deux ouvrages sur le même thème, en l’occurrence la Syrie.

Selon la jurisprudence, l’éditeur n’est tenu à aucune exclusivité envers un de ses auteurs et peut, sauf clause contraire, publier parallèlement l’ouvrage d’un autre auteur sur un sujet identique. Ainsi, le 5 janvier 1970, un éditeur d’art a publié, sur la période bleue de Picasso, l’ouvrage d’un auteur autre que celui avec lequel cette maison avait signé précédemment. Les juges de la Cour de cassation n’ont pas sanctionné cette publication portant sur le même sujet, mais bien l’absence de publication de l’ouvrage prévu initialement.

Dans l’affaire jugée en mai 2021, la Cour d’appel de Paris a donc suivi cette pente jurisprudentielle. L’auteur avait initialement signé pour un ouvrage dont le titre provisoire était Syrie, la naissance d’un nouvel ordre mondial.

Mais, peu avant la date de remise de son texte finalisé, il avait invoqué la résiliation de son contrat au motif qu’il avait appris la publication imminente dans la même maison d’édition d’un autre livre sur la Syrie.

Cela entraînait, d’après ses termes, « un télescopage qui ne peut qu’être préjudiciable » et il ajoutait : « Je ne vous ai finalement pas remis mon manuscrit parce que je ne suis pas content du résultat, d’autant que vous publiez simultanément un ouvrage sur le sujet. Du coup, je préfère différer la publication et retravailler le texte. » Il précisait enfin avoir remboursé son à-valoir partiel et concluait : « Je ne vois pas ce que vous pourrez obtenir de plus. »

L’éditeur lui indiquait alors lui accorder un délai supplémentaire afin de finir la rédaction de son livre et contestait la « résiliation unilatérale » du contrat d’édition.

L’auteur avait alors choisi de publier un livre sur la Syrie chez un autre éditeur. Las, le texte reprenait, selon l’éditeur quitté, la « quasi-totalité » du premier manuscrit remis qui avait permis aux commerciaux d’engranger d’importantes commandes auprès des libraires.

Le premier éditeur avait alors assigné son auteur. Et les magistrats donnent tort à l’auteur en prononçant à ses torts la résolution du contrat.

Mais ils relèvent toutefois qu’une clause du contrat aurait pu permettre d’éviter une telle situation.

De la même façon, il est possible à l’éditeur d’insérer une clause de non-concurrence dans le contrat pour lier un auteur. Les spécialistes d’un sujet ont parfois tendance à signer des contrats avec différentes maisons.

Les tribunaux estiment qu’il s’agit de trouver un juste milieu entre le traitement du sujet spécifique de l’auteur et la publication pure et simple du même livre chez plusieurs éditeurs. Un auteur de manuels d’anglais a ainsi été condamné par la Cour d’appel de Paris, le 26 septembre 1978, pour avoir publié deux ouvrages fortement proches, se permettant, par surcroît, de critiquer le premier dans le second.

Le 15 février 1984, le Tribunal de Grande instance de Paris a rappelé qu’un éditeur ne peut non plus impunément éditer un livre très critique sur l’un de ses propres auteurs…

De même, un auteur ne peut anticiper l’épuisement de son livre et faire procéder à une réédition chez un autre éditeur. La loi ne l’y autorise qu’en cas de réel épuisement de l’ouvrage. Mais l’auteur conserve toujours le droit de refaire, si ce n’est le même ouvrage, tout au moins le même type d’ouvrage, sous réserve du droit de préférence que son éditeur aurait inséré dans le contrat d’édition. Car, en général, l’auteur cède ses droits à titre exclusif, à moins que le contrat n’en dispose autrement.

Quelle que soit la forme d’exploitation qu’il a cédée, il ne peut, sauf clause contraire, procéder ou faire procéder à une édition dans la même forme, comme l’a, très classiquement, souligné la Cour d’appel d’Angers, le 3 mai 1950. Ainsi, un auteur qui a déjà cédé le droit de publication en édition courante, en se réservant celui d’une parution en épisodes, ne peut céder à un tiers le droit de publier son œuvre en deux épisodes seulement. Il faut cependant rappeler l’ancienne décision (rendue par le Tribunal de commerce de la Seine le 14 février 1847…) qui a notamment permis à Balzac d’autoriser un éditeur à publier ses « œuvres complètes » avec, pour seule condition, d’intéresser financièrement le premier éditeur.

 

 

 

 

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