Un livre, du vin et de la musique. Ne serait-ce pas là le triptyque du bonheur ? C’est en tout cas autour de cette alliance assumée que s’articule La Distillerie, nouvelle librairie pourvue d’un bar et d’une scène, inaugurée le 3 décembre dernier dans l’ancienne distillerie de Pont-l'Évêque, au cœur du Calvados. Derrière ce projet singulier, Nadège Ménassier, 53 ans, ancienne professeur de langue et de littérature anglaise à la Sorbonne Université et violoncelliste à ses heures choisies.
Une reconversion audacieuse
En 2019, la quinquagénaire décide de mettre fin à sa carrière académique. « J’étais saturée du monde universitaire et je voulais transmettre autrement », confie celle pour qui le livre a toujours été un terrain connu. Après avoir participé à un atelier d’écriture de la Nouvelle Revue Française aux côtés de l’autrice Laurence Tardieu, la future libraire, qui suivra un peu plus tard une formation à l’École de la librairie, se lance dans les relations-libraires, rencontrant près d’une centaine de professionnels. Parallèlement, elle publie une poignée de nouvelles pour les revues Pourtant, Dissonances et Harfang. « Je suis entrée dans la chaîne du livre par tous les petits bouts ! », s’amuse-t-elle.
C’est pourtant l’envie d’ouvrir sa propre librairie, une librairie pas comme les autres, qui s’impose. Guidée par un certain art de vivre, Nadège Ménassier décide de façonner sa création autour de trois passions : la littérature, la musique et le vin. « Avec mon mari, médecin réanimateur et violoncelliste lui aussi, nous avions l’habitude de faire dialoguer les livres et la musique à la maison. Aujourd’hui, c’est très tendance, mais il y a dix ans, ça l’était beaucoup moins. Nous avons fini par y ajouter le vin, pour la jouissance du moment. Après tout, quoi de mieux que d’écouter de la musique, un bon livre et un bon verre à la main ? », interroge-t-elle.
Pourvue d'un bar et d'une scène sur laquelle trône un piano à queue, la librairie revendique 280 m² de surface, dont 110 m² dédié au livre.- Photo LA DISTILLERIEPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Ne restait plus qu'à dénicher l’écrin idéal. « Je voulais un lieu d’exception », raconte-t-elle. Un premier projet dans la maison de l’artiste Lena Vandrey en Ardèche se dessine, mais il est finalement décommandé au bout de neuf mois de travail. Un mal pour un bien ? Nadège Ménassier se tourne finalement vers son cousin, propriétaire de l’hôtel Le Lion d’Or et d’une ancienne distillerie de Pont-l'Évêque : un local de 280 m² transformé en entrepôt. « Les murs étaient noirs, le sol en sable. Il a fallu plus de sept mois de gros œuvre avant l’aménagement », précise Nadège Ménassier.
« Je voulais un effet "wow", dans un esprit Peaky Blinders »
Et le résultat force l’admiration. Organisée en deux grandes salles, la bâtisse a été dépoussiérée et entièrement réorganisée : un bar chiné à Nohant, pays de George Sand, des bibliothèques rapportées d’Ardèche, des portes dans le style Art nouveau, un piano à queue… « Je voulais un effet "wow", dans un esprit Peaky Blinders » glisse la gérante.
Décloisonné, le lieu invite désormais le public à circuler entre les arts, pour varier les plaisirs. « Je voulais que les publics se mêlent, que ceux qui ne viennent pas pour le livre le découvrent tout de même, voire qu’ils repartent avec l’un d’entre eux », souligne Nadège Ménassier.
Cœur battant du lieu, une scène de 40 m² accueillera des collaborations artistiques, toutes pensées autour d’un fil littéraire. En février prochain, par exemple, dans le cadre du festival Lire en Hiver, l’auteur de polar David Coulon (Fayard) proposera une lecture performée, accompagné d’un pianiste et de deux comédiens – un événement intégralement pris en charge par la région.
L’espace librairie, d’une centaine de mètres carrés, offre environ 6 500 références, dont un vaste espace jeunesse animé par Éloïse Courraëy, passée par la librairie parisienne L’Arabesque. Côté bar, Nadège Ménassier s’appuie sur Julien Huet, formé lui aussi à l’École de la librairie. « Je ne connais pas beaucoup de librairies dotées d’une licence IV », plaisante la patronne, qui parvient à jongler entre livres et boissons grâce au logiciel Librisoft.
Au-delà de ses économies personnelles et d'un soutien familial, Nadège Ménassier a également bénéficié d’un accompagnement régional via l’agence Normandie Livre & Lecture, qui lui a accordé un fonds dédié au développement de l’économie du livre en Normandie (Fadel).
Autant de ressources qui ont permis à La Distillerie de s’imposer, aujourd'hui, comme une véritable respiration culturelle, un lieu où prendre le temps d’ouvrir un roman, de partager un verre ou d’écouter un instrument résonner sous la charpente d’un bâtiment devenu, en quelques semaines, le nouveau quartier général des habitants et des marcheurs curieux.

