Livres Hebdo : Le festival fête cette année ses 20 ans d’existence. Comment a-t-il évolué ?
Philippe Le Moine : Depuis 20 ans, les mots sont mis en avant à chaque printemps. À l’origine, tout a commencé avec Gaëtan Gorce, alors maire de la Charité-sur-Loire, qui avait mené avec Marc Le Carpentier une politique en faveur de la littérature. C’est dans ce contexte que la manifestation, qui s’est appelée le Festival du Mot jusqu’en 2018, a été créée. Celle-ci a été pensée différemment des autres manifestations littéraires, en abordant le mot sous toutes ses formes.
Avant d’investir plusieurs arts, le festival avait d’abord dédié toute une partie de sa programmation à la linguistique, aux jeux de mots et au dictionnaire, sous le parrainage du linguiste Alain Rey, qui en fut le premier président d’honneur. Au fil des années, le festival s’est développé jusqu’à trouver sa place au sein de l’agenda culturel national, notamment parce qu’il est organisé par la Cité du Mot, lieu éminemment culturel de la Charité-sur-Loire.
« Notre devise est de travailler le mot sous toutes ses formes »
Installée depuis 2014 au cœur du prieuré Notre-Dame de la Charité-sur-Loire, la Cité du Mot est en effet un lieu de valorisation patrimoniale et culturelle, reconnu par le ministère de la Culture...
Oui ! C’est un lieu actif toute l’année en participant à l’organisation d’une centaine d’événements. Parmi eux, il y a bien sûr le festival Aux quatre coins du mot, dont j’ai pris la direction en 2019 et qui a changé de nom cette année-là pour marquer le début d’une nouvelle ère.
Quelles modifications avez-vous apportées à la manifestation depuis que vous en êtes le chef d’orchestre ?
Nous avons conservé les bases – notre devise est toujours de travailler le mot sous toutes ses formes – mais nous avons tenté de diversifier et d’élargir le public en développant des formats plus familiaux, plus participatifs. Avant, le mot phare de l’édition était révélé au moment de la manifestation. J’ai préféré changer cette approche et chercher, en amont, un ensemble de mots-clés afin d’alimenter notre réflexion et construire un programme autour d’un univers bien pensé. Par exemple, en 2021, nous avons choisi le thème « bourlinguer », comme un pied de nez à la situation d’enfermement que nous avions subie l’année précédente avec la pandémie de Covid. En 2022, nous avons voulu réhabiliter le mot « transmission », tandis que l’année dernière, nous avons fait la part belle à la musique et la bande dessinée avec le thème « rebelles décibels ».
« La littérature noire permet de prendre le pouls de la société »
Cette année, le festival aura pour thème « en quête ». Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Le thème a été pensé en deux mots pour que deux notions puissent être évoquées. D’abord, celle de la littérature noire, qui regroupe le roman à énigme, à suspense ou encore le polar. C’est un genre qui a une histoire forte, qui est en contact avec tous les autres arts et qui permet, bien souvent, de prendre le pouls de la société. Surtout, c’est une littérature par laquelle certaines personnes peuvent entrer dans la lecture. Mais lorsque le terme « enquête » est coupé en deux, il a un autre sens : celui de la quête de soi, du monde qui est un thème au cœur de la plupart des livres.
Comment cette double thématique va-t-elle s’illustrer in situ ?
Évidemment, il y aura beaucoup de jeux autour de l’énigme, comme des escape games, mais aussi des concepts interactifs autour du conte qui est, par essence, le contrat-même de la quête. Du Chaperon Rouge à l’Odyssée d’Homère en passant par Don Quichotte, l’univers du conte sera généreusement représenté puisque nous souhaitons aussi faire échanger les générations entre elles. Surtout dans un monde où les ciblages culturels et la compartimentation sont de plus en plus à l’œuvre. Il y aura également des spectacles, comme celui tiré d’un des livres de Fred Vargas. Ou encore des conférences comme celle intitulée « Polars en tous genres », qui réunira Sophie Loubière, adepte du polar dystopique et de la critique sociale, Marcus Malte, maître du noir pour adultes et enfants, ou encore Nathalie Beunat, publiée dans la collection « Série noire » de Gallimard, qui s’interrogeront sur la frontière séparant la littérature blanche de la noire.
« La suite de la manifestation a commencé à s’écrire en 2014 »
Avez-vous prévu des choses inédites pour célébrer vos 20 ans ?
Pas tout à fait, néanmoins nous jouons sur ce thème de l’anniversaire pour célébrer les 80 ans de la « Série noire » de Gallimard. Pour l’occasion, Nicolas Bonnefoy animera une rencontre intitulée « Poison ville », qui permettra de découvrir un cahier d’enquêtes et un jeu de plateau reprenant tous les schémas classiques de la série noire. Nous célébrerons également les 30 ans de la série culte Poulpe, mais aussi les 30 ans de la collection « Tour du monde en 12 polars » des éditions du Masque.
Comment voyez-vous l’avenir du festival à plus long terme ?
La suite de la manifestation a déjà commencé à s’écrire en 2014, lorsque la Cité du mot a été créée. Depuis, il existe un programme culturel à l’année au sein duquel le festival représente une constante. Néanmoins, nous prévoyons, d'ici deux à trois ans, d’importants travaux pour rénover notre site et permettre au festival de s’épanouir, lors de ses prochaines éditions, dans un cadre plus confortable encore.