Nichée au pied d’un immeuble de Belleville, la nouvelle librairie parisienne Le Bibliovore pourrait facilement passer inaperçue. Pourtant, des regards curieux s'attardent. Fronts collés à la vitrine, ils tentent d’apercevoir l’intérieur de la boutique, intrigués par la promesse de livres vendus à trois euros l’unité, les quatre pour dix.
Sur les conseils de Valérie et Corentin Halley, les têtes pensantes de ce concept de vente de livres d’occasion qui réunit aujourd’hui 13 magasins à travers l'Hexagone, Victor Guérin, patron de la nouvelle enseigne, griffonne quelques mots sur un post-it : ouverture prévue vendredi 23 mai à 11 heures.
« Le Bibliovore dédramatise le livre »

D’abord formé à la librairie Veyrier aux Puces de Saint-Ouen, auprès d’un « monsieur d’un autre temps », le jeune trentenaire voit son approche et sa pratique du métier évoluer. « Je pense que nous sommes des médiateurs du livre, pas des gardiens. Notre but, c’est de faire en sorte que le plus de gens possible lisent », confie-t-il. Un mantra que partagent les créateurs de la marque Bibliovore.
Des livres d’occasion comme neufs
« Nous ne faisons que du livre d’occasion qui a l’air d’être neuf », nous expliquent-ils. Anciens professeurs de français, les deux reconvertis ont d’abord commencé par écumer les brocantes professionnelles à l’aube des années 2010, déployant sur leur stand des bacs entiers d’ouvrages soigneusement sélectionnés.
Jusqu’en 2017, ces adeptes de la seconde main trouvent successivement trois comptoirs d’achat éphémères pour acheter et entreposer leur stock. C’est à la même période, qu’à la demande de la clientèle, le couple ouvre une permanence à domicile pour s’essayer à la vente. « On était en train de devenir une librairie, je commençais même à donner des conseils aux gens », réalise Valérie Halley.
Un modèle dupliqué à la dizaine
Quelque temps plus tard, l’inattendu prend vie. En janvier 2018, les lecteurs poussent les portes de la première librairie Le Bibliovore, installée dans la cité tourangelle. Le concept est simple : la librairie achète à des particuliers venus sur place un kilo d’ouvrages pour un euro. Les livres, qui arrivent par plusieurs centaines chaque semaine, sont ensuite triés sur le volet, puis revendus à de nouveaux lecteurs, trois euros l’unité et dix euros les quatre.
« Si les livres sont abîmés, nous les redistribuons à des structures associatives ou nous les rangeons dans les boîtes à livres. Lorsqu’ils sont irrécupérables, nous les transportons jusqu’à la déchetterie pour qu’ils puissent être recyclés », explique Valérie Halley.

Au départ, les deux conjoints ne s’imaginaient pas démultiplier ce concept basé sur l’économie locale et solidaire. Or, pendant le confinement, ils décident de créer une page Facebook et lancent l’idée, alors purement fictive, d’un réseau de magasins. Assailli de candidatures, le couple finit par céder. Au Bibliovore de Blois succède celui d’Orléans, puis de Poitiers. Cinq ans plus tard, douze magasins, inaugurés en un temps record, quadrillent l’Hexagone.
« Nous ne voulons pas marcher sur les plates-bandes des autres acteurs de la filière »
Alors que le ministère de la Culture prépare la mise en place d’une rémunération sur les ventes de livres d’occasion sur le fondement du droit d’auteur, cette réussite illustre l'essor de ce marché. Mais les librairies de la chaîne Le Bibliovore pourraient bien échapper à ce futur dispositif, car se revendiquant juridiquement de l'économie sociale et solidaire.
Bien que la formule ait connu un essor rapide, le couple de libraires n’a cependant pas l’intention de s’implanter n’importe où. « De nombreuses foncières nous ont déjà fait plusieurs offres, mais l’idée n’est pas de marcher sur les plates-bandes des autres acteurs de la filière. Nous nous implantons uniquement là où la demande existe », expliquent les libraires.
Après l’ouverture « miracle » en novembre dernier du premier Bibliovore dans le IIIe de Paris, la boutique de Victor Guérin, treizième enseigne du réseau et deuxième succursale parisienne, vient ainsi combler une offre manquante. Anciennement occupé par la librairie Le Lieu Bleu, le local de 118 m² de surface de vente a en effet été cédé avec son stock de 50 000 références par son propriétaire parti à la retraite.

« Je crois que les gens sont assez contents d’avoir une solution de proximité comme celle-là. Et pour ceux qui se lancent dans l’aventure, le fait de s’associer à une marque qui a un nom, qui fonctionne, et qui permet d’être patron de sa propre boutique sans être complètement seul, fait sûrement moins peur », médite Corentin Halley. « Et pour cause : l’investissement n’est pas aussi engageant que pour une librairie qui vend des livres neufs ! », complète son épouse, précisant que l’achat de 10 000 références d’occasion coûte en moyenne 6 000 euros.
Un esprit familial
Outre le confort médiatique et financier que peut apporter la licence de marque, Valérie et Corentin Halley se félicitent aussi de pouvoir parler d’une « grande famille », où chaque libraire peut s’appuyer sur les autres. « La force du réseau, c'est aussi cela, créer une forme d’appartenance auprès de nos libraires comme du public », se réjouit le couple, qui organise à ses frais chaque année, au mois d’août, une grande rencontre festive de l’équipe interne.
« C’est comme pour Victor que nous avons rejoint quelques jours pour lui donner un coup de main dans le déballage des derniers cartons », argue Valérie Halley. Car après des mois de triage intensif et plusieurs couches de peinture blanche, voilà la librairie fournie et rutilante, fin prête à accueillir ses premiers visiteurs.
Le Bibliovore en bref