Livres Hebdo : Votre nouveau livre Résister à la culpabilisation. Sur quelques empêchements d’exister est-il « Mona-Chollesque », comme disent désormais certains de vos lecteurs et lectrices : une non-fiction écrite à la première personne, qui vous permet de conférer une ampleur politique à des questionnements qui, au départ, paraissent personnels ?
Mona Chollet : Oui, c'est le même style, je crois que je ne sais pas écrire autrement ! Au départ, je pense que le fait de beaucoup citer venait d'une difficulté à assumer une parole propre, j'avais besoin de m'abriter derrière les autres. Avec le temps, j'ai gagné en audace, mais j'aime toujours beaucoup faire dialoguer des voix multiples, créer des résonances à l'intérieur de mon texte, et mêler des sources très diverses. Un ami m'a suggéré un jour d'essayer d'écrire un livre sans une seule note de bas de page, mais cela me semblerait un peu triste. De toute façon, personne ne pense seul !
Ce qui relie vos livres, de Chez soi à Réinventer l'amour en passant par Beauté fatale et Sorcières, c'est aussi que vous y analysez la place des femmes dans notre société ; la façon dont celles-ci cherchent l'épanouissement tout en se rendant parfois « complices de l'ordre qui les opprime ». La « culpabilisation » est-elle un autre prisme pour poursuivre cette réflexion ?
On se heurte forcément à la question de la culpabilité quand on traite du vécu des femmes, et je me suis dit qu'il était temps que je la prenne à bras-le-corps. J'ai aussi été très intriguée, il y a quelques années, de prendre conscience de la voix hypercritique qui résonnait dans ma tête et qui commentait négativement tout ce que je faisais. C'est ce qui a été le déclic de départ du livre. Et puis, étant née à Genève, la ville de Calvin, qu'on a appelée « la Rome protestante », j'étais aux premières loges depuis toujours ! Cela a aussi été l'occasion d'explorer ce qu'il reste de notre héritage chrétien, y compris quand nous croyons n'avoir plus aucun lien avec la religion.
« Je reste fascinée par l'intelligence collective à l'œuvre depuis #MeToo »
Je suis contente d'avoir repris, pour cette fois, la logique de mon précédent livre Chez soi, c'est-à-dire un livre avec de grandes parties féministes, et d'autres plus larges. C'est aussi la logique d'Une révolution intérieure de Gloria Steinem (paru dans une nouvelle traduction de Juliette Bourdin en 2023 chez HarperCollins, ndlr), que j'ai eu la joie de préfacer il y a deux ans et qui est un modèle pour moi par son intelligence émancipatrice.
Quel regard portez-vous sur les livres féministes aujourd'hui ?
J'ai justement des piles de livres féministes sur ma table basse, que j'ai hâte de pouvoir enfin lire quand j'aurai fini d'écrire. Je reste fascinée par l'intelligence collective à l'œuvre depuis #MeToo, par la façon dont nous couvrons à nous toutes de plus en plus de champs de l'expérience féminine – parce que les éditeurs ont compris que ça marchait et nous en donnent enfin la possibilité ! Pour moi qui ai été adolescente et jeune adulte dans un quasi désert féministe, c'est assez miraculeux.
Parmi les tendances actuelles, on relève que de nombreuses essayistes féministes se lancent dans l'écriture de fictions. Est-ce votre cas aussi ?
Non, malheureusement ! J'adorerais écrire de la fiction, mais pour l'instant mes tentatives n'ont jamais été très concluantes. J'espère que cela changera un jour. Je n'ai pas non plus d'idée particulière pour la suite, j'ai toujours le nez dans le guidon quand je termine un livre et les nouvelles envies mettent du temps à émerger.