Le Funiculi Funicula, près de la gare de Tokyo, est une échoppe qui ne paye pas de mine et sert du café comme n'importe quelle buvette. Si ce n'est que le client, une fois installé à cette unique place assignée à la télétransportation dans le temps, voyage vers son passé... Roman du dramaturge Toshikazu Kawaguchi, qui l'avait adapté d'une de ses pièces, Tant que le café est encore chaud fait florès avec plus d'un million d'exemplaires vendus au Japon (et plus de 44 000 en France selon GFK). En novembre, un an après Le café du temps retrouvé (plus de 28 000 ventes ici, toujours selon GFK), un troisième volume, Le café où vivent les souvenirs, paraît chez Albin Michel. Traduite en 46 langues, portée sur grand écran, la série caféinée de Kawaguchi est un phénomène éditorial planétaire. Les trois titres se sont vendus dans le monde à 5 millions d'exemplaires, dont 1,6 million au Japon, 1,5 au Royaume-Uni, 700 000 aux États-Unis, 700 000 en Italie... De la fiction qui décline le thème d'un café fantastique dont une seule tasse suffit pour nous faire revoir nos chers disparus ou nous confronter à nos errements d'antan, et à nous réconcilier avec nous-même... Un pitch bête comme ses pieds, mais des histoires pas casse-pieds et même bien écrites ! « Et c'est l'écriture qui m'a séduite », avoue Anne Michel, directrice du département étranger d'Albin Michel, qui ne serait pas a priori allée vers ce genre de livre.
Dans une veine équivalente sort concomitamment chez Actes Sud un light novel signé Hiro Arikawa, Au revoir les chats ! L'autrice nipponne avait connu un franc succès de librairie en France grâce à ses précédents romans : Les mémoires d'un chat (2017) s'écoule à 190 000 exemplaires, en grand format et poche ; Au prochain arrêt (2021) atteint les 56 000 exemplaires, tous formats confondus. Le premier best-seller de l'autrice narrait l'histoire d'un chat de gouttière fort indépendant qui s'attache néanmoins à un célibataire l'ayant recueilli après un accident. L'humain lui apprend bientôt qu'il va devoir se séparer de lui, sans lui dévoiler pourquoi. Le roman tourne au road novel, puisque le chat passe de maître en maître, et se révèle un roman d'apprentissage, sur la vie, la mort, les liens... Petit chat et grandes questions, ou autres récits à la thématique accessible et riches en péripéties où le banal bascule dans le merveilleux. Le « light novel » est au départ associé à la littérature young adult et vise un lectorat juvénile et féminin. Mais pas seulement. Ce label spécifiquement japonais englobe ces romans populaires qui ne concourent pas au prestigieux prix Akutagawa (le Goncourt japonais). « Ce que l'on désigne sous le nom de "light novel" au Japon, explique le traducteur du japonais Patrick Honnoré, qui a l'oreille de certains éditeurs, dont Actes Sud, est une littérature qui ne se cache pas d'être commerciale mais qui, contrairement au feel-good book aux États-Unis ou en France, maintient une exigence littéraire ambitieuse. »
Chat alors !
Manuel Tricoteaux est l'éditeur en France d'Hiro Arikawa. Chez Actes Sud, il dirige notamment la collection « Exofictions » et édite également Nicolas Mathieu. « Il y a de la place, dit-il, dans une maison généraliste pour des auteurs grand public de qualité. » Ainsi Jodi Picoult, scénariste des DC Comics Wonder Woman, d'abord publiée aux Presses de la Cité puis chez Michel Lafon, a intégré le catalogue de l'éditeur arlésien. « Light ne signifie pas dépourvu de style ni dénué de profondeur, insiste Patrick Honnoré. Là où les éditeurs, les auteurs, le marché de la littérature commerciale dans les pays francophones croient que l'axiome fondamental de ce segment éditorial est : "le lecteur ne veut pas se prendre la tête ", les mêmes acteurs au Japon démontrent que cet axiome est faux. On lit pour sentir son cerveau penser. Là-bas, même les histoires de petits chats mignons sont construites comme des cathédrales. » Pourquoi n'aurait-on pas en France cette nomenclature de littérature légère ? Encore que certains conteurs d'histoires dans la langue de Molière répondraient à cette double exigence de légèreté de plume et de bonne facture littéraire. On pense aux nouvelles de Philippe Delerm naguère, La première gorgée de bière (Gallimard, « L'arpenteur », 1997) ou d'Anna Gavalda Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part (Le Dilettante, 1999), aujourd'hui aux romans de David Foenkinos... A-t-on oublié que Molière lui-même savait être grave tout en étant léger ? Même si l'esprit de sérieux hexagonal tend à prendre l'obscur pour le profond, ne boudons pas notre plaisir. Que la chantilly (en pâtisserie comme en littérature) soit notre péché mignon !