Savoir-faire

Invisible mais essentiel : profession prête-plume 

Antoine Griezmann et Arnaud Ramsay, sa plume. - Photo DR

Invisible mais essentiel : profession prête-plume 

Ils sont les coauteurs de nombreux best-sellers. On les appelle plume, plume-fantôme, prête-plume ou ghostwriters... Écrivains et éditeurs nous parlent de ce métier de l'ombre aux compétences et aux valeurs très fortes.

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Par Élisabeth Segard
Créé le 16.07.2025 à 17h30

On devient plume par hasard, on le reste par vocation. Le métier est contraignant, mais tous les auteurs que nous avons rencontrés le jugent amusant, excitant et intense. Il leur offre des rencontres variées, la possibilité d'affûter leur style en exploitant diverses « voix » pour mettre en forme un récit, la satisfaction d'aider une personne qui n'a pas les outils pour s'exprimer mais qui porte un message. « Être plume demande de la générosité, souligne le romancier et consultant éditorial Frédéric Massot. On se met au service d'un autre pour l'aider à porter son texte. Quand je travaille avec Benjamin Castaldi, il est bien l'auteur, il a pensé son livre, je suis celui qui le met en mots et en musique. »

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Gabriel Katz, prête-plume.- Photo DR

Les plumes ont une expérience de journaliste, de romancier ou de rédacteur dans la pub, et apprennent le reste sur le tas. Ils doivent être (très) rapides et avoir l'échine souple, avoir de l'empathie, le moins d'ego possible et rester à l'écoute, explique Gabriel Katz, qui a travaillé sur une quarantaine d'ouvrages de genre différents. « Le métier pompe, précise Elsa Levy, coautrice de  témoignages. Vous êtes aussi le psy de l'auteur. »

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Elsa Levy, coautrice de témoignages, Antoine Griezmann et Arnaud Ramsay, sa plume.- Photo LAURE VEILLE

Les contrats se trouvent grâce au bouche-à-oreille. Au début, on accepte tout pour se faire un nom et remplir le frigo puis, avec l'expérience, on se permet d'éviter certains projets. Gabriel Katz a refusé tantôt le livre d'un ancien officier SS qui voulait justifier ses choix, tantôt parce qu'il pressentait les complications avec le coauteur. Certaines personnalités sont connues pour avoir « usé » trois ou quatre plumes d'affilée...

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Frédéric Massot, romancier et consultant éditorial et Gabriel Katz, prête-plume.- Photo © SOPHIE PALMIER/REA

La relation de confiance et de respect entre l'éditeur et la plume est essentielle - et souvent très forte. Directrice littéraire d'Alisio et récemment nommée directrice éditoriale du pôle Littérature générale non-fictionAurélie Ouazan conçoit toujours les binômes d'écriture selon les appétences et les caractères de chacun. Si l'auteur ne veut pas se livrer, explique-t-elle, la plume ne pourra rien faire. Pour les ouvrages de développement personnel ou le pratique, elle fait appel à des rewriters, car ce travail porte moins d'émotions : il s'agit « simplement » de structurer et vulgariser le propos d'un expert. 

« 200 pages d'horreur à la première personne »

Dans le cadre d'un récit de vie, l'écriture peut être une véritable thérapie. L'enjeu était énorme pour Valérie Bacot, souligne Clémence de Blasi, coautrice de Tout le monde savait, publié par Fayard en 2021. Les deux femmes ont écrit ce témoignage très facilement, « mais après, il y a eu une sorte de décompensation. On ne sort pas indemne après avoir écrit 200 pages d'horreur à la première personne. » En utilisant le « je », renchérit Elsa Levy, la plume est contrainte de suivre un protagoniste sur lequel elle n'a aucune prise, et dont les choix la dépassent parfois. 

Un livre est avant tout programmatique, et ainsi sans affect, pour un politique, analyse Arnaud Ramsay. Mais pour les sportifs, c'est très impliquant : ils ne font qu'un avec leur texte et cette bio est l'occasion de laisser une trace. Ils ne sont pas habitués à regarder en arrière et la plume doit les aider à relire leur vie sous un nouvel angle.

Ces collaborations engendrent des liens hors-normes. Clémence de Blasi a fondé une association avec Valérie Bacot et l'a accompagnée à son procès. Arnaud Ramsay, qui a vécu plusieurs jours avec Bixente Lizarazu à Munich, Youri Djorkaeff à New York et Antoine Griezmann à Madrid pour l'écriture de leurs autobiographies, souligne que cette intimité oblige à trouver l'équilibre entre relation de travail et amitié.

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Aurélie Ouazan, directrice littéraire d'Alisio.- Photo DR

Une bonne plume doit maîtriser les codes de la culture comme ceux des sous-cultures. « Un académicien aurait du mal à écrire la bio de Loana », résume Gabriel Katz. Une plume généraliste, qui sera au même niveau que le lecteur, est plus intéressante, précise la journaliste Clémence de Blasi, qui n'était pas spécialiste des violences sexuelles en commençant Tout le monde savait. Elle a même demandé à l'éditeur qu'il la mette sur ce projet car elle voulait mieux comprendre.

La plume est une sage-femme

Un livre, même signé par une célébrité, est toujours un pari financier. Quand Kylian Mbappé écoule 222 000 exemplaires d'une BD, certains ministres vendent péniblement 600 exemplaires de leurs mémoires. Avec un budget de 4 000 à 15 000 euros pour les services d'une plume, la tentation pourrait être grande de les remplacer par l'IA. Les éditeurs que nous avons interrogés s'accordent à dire que c'est une fausse bonne idée. La plume a des compétences rédactionnelles mais surtout, humaines. Elle est une sage-femme et un miroir émotionnel. « On fait ce travail parce qu'on aime travailler avec les gens, souligne Aurélie Ouazan, on raconte des vies, on ne fait pas de la révision de notices d'électroménager ! »

Directrice éditoriale du département Art de vivre des éditions de La Martinière, Laure Aline préfère passer son temps avec des auteurs ou des photographes qu'avec un logiciel : « Prompter demande de la technicité, et je préfère faire confiance à l'intelligence collective. Ça ne m'intéresse pas de travailler sans auteurs, c'est leur expérience et leur personnalité qui font que l'objet sera différent. L'IA est une aide pour rédiger un argumentaire ou traduire un PowerPoint, mais traduire ou concevoir un livre, non. Sans auteur, notre métier n'aurait plus de sens. »

L'IA n'inquiète pas Frédéric Massot, qui a fait un test avec sa compagne romancière : « L'IA a reproduit son style, mais sans point de vue. Sans narration ni émotion. C'est caricatural. C'est comme une chaîne hôtelière, tout est standardisé, répétitif. » Et ça se voit. Charlène Guinoiseau-Ferré, codirectrice des éditions Jouvence, a été récemment alertée par l'une de ses éditrices sur un manuscrit, car le style de l'auteur avait changé. Celui-ci a confirmé avoir utilisé l'IA. Pour Charlène Guinoiseau-Ferré, cette pratique pose trois problèmes : d'abord tromper le lecteur, qui peut aller sur ChatGPT tout seul et n'a pas besoin d'acheter un livre, ensuite des problèmes de sources, puisque l'IA mouline des documents sans les vérifier. « Enfin, les droits d'auteur, je les paye à qui ? s'interroge-t-elle. Au robot ? »

Sur les livres des politiques, la plume reste invisible

La mention du nom de la plume en couverture des témoignages ou des livres pratiques se décide au cas par cas, selon le souhait des coauteurs et la stratégie marketing de la maison. Des romanciers préfèrent ne pas apparaître en tant que plume, pour ne pas être catalogués.

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Clémence de Blasi, coautrice de Tout le monde savait de Valérie Bacot (Fayard, 2021).- Photo ANOUK DESURY

Sur les livres des politiques, la plume reste invisible. Arnaud Ramsay et Frédéric Massot y décèlent la marque d'un certain mépris de classe. « On trouve normal qu'un footballeur ne sache pas écrire, mais cela semble inimaginable pour un ministre, soupire Frédéric Massot. En France, l'écrit représente l'aristocratie culturelle. Les gens soi-disant cultivés, lettrés, doivent savoir écrire leur livre... »

Le rôle des plumes est d'ailleurs totalement tabou en littérature, bien qu'il existe. Gabriel Katz confirme avoir travaillé sur plusieurs romans. La maison d'édition lui avait même réservé un bureau. De son côté, Carie (le prénom a été modifié) a retravaillé à 80 % le manuscrit d'un auteur familier du top GFK. « Son premier roman avait très bien marché, mais le second était bancal. Il a fallu développer les personnages et reprendre chaque phrase pour qu'elles soient correctes tout en gardant la patte de l'auteur. » Le projet a nécessité un travail de familiarisation et de négociation avec lui qui n'a pas été facile. « Je me permettais des remises en cause de ses idées, et j'allais trop loin. C'était assez rude pour l'auteur, qui ne s'attendait pas à ça. » Mais comme le livre a été un best-seller, il a fait confiance à la jeune femme, qui a travaillé sur ses ouvrages suivants. Elle n'a jamais touché de pourcentage sur les ventes. Ce manque de reconnaissance financier lui semble assez symbolique : « Tu es surengagé dans la pensée d'un auteur, tu dois être super malléable, et tu es complètement invisibilisé... Les auteurs oublient très vite le rôle que tu as eu. »

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