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Bibliothèques et communication, mode d'emploi

La grande bibliothèque municipale d'Amsterdam - Photo Fanny Guyomard

Bibliothèques et communication, mode d'emploi

Une large part de la population ignore l'étendue des collections et des services proposés par les bibliothèques et les médiathèques. Qu'est-ce qui coince dans leur communication ? Et surtout, comment y remédier ? Neuf conseils de bibliothécaires avisés.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 18.03.2025 à 17h05

Bibliothécaires, interrogez des inconnus sur ce qu'ils peuvent consulter dans une médiathèque. Combien sauront que vous proposez des jeux ? Ou laissez traîner vos oreilles dans le bus, comme la responsable de la bibliothèque de Bruz (Ille-et-Vilaine), Sophie Gimenez, qui rapporte cette discussion entre deux ados : « Tu sais ce que j'ai vu à la bibliothèque ? Des mangas ! » Ça les étonne encore. Mais pas si étonnant, quand on se réfère aux derniers chiffres (2016) de fréquentation des bibliothèques municipales : seulement 40 % des sondés ont dit en avoir franchi le seuil dans l'année. Pour attirer les 60 % restants, le principal levier pourrait être, outre l'extension des horaires d'ouverture, la communication. Alors quelles pratiques favoriser ?

Se rendre visible dans la ville

Les bibliothèques d'Amsterdam se distinguent par leur enseigne rouge pétant, formant leur nom érigé en marque : OBA. New York a également choisi cette couleur pour les bannières accrochées aux lampadaires qui jalonnent la cinquième avenue, indiquant une bibliothèque à proximité. L'association des directeurs et directrices des bibliothèques françaises a impulsé la création d'une enseigne nationale, à la manière des croix vertes des pharmacies. De la forme d'un livresque papillon bleu, choisie en 2022 par un vote des internautes et coûtant moins de 1 000 euros, elle est aujourd'hui déployée dans... deux médiathèques. D'autres sont en projet. Une bibliothèque veillera par ailleurs à apparaître sur les plans Internet, et à indiquer ses horaires.

Mutualiser pour se démultiplier...

Pour optimiser sa communication, on peut la partager. La bibliothèque centrale d'Amsterdam abrite dans ses locaux les plateaux de la télévision et de la radio publiques, qui lui font indirectement de la publicité. « Les téléspectateurs et auditeurs découvrent nos espaces, se rendent compte de tout ce que l'on propose », commente notre guide, Farida Span-Aazani, non pas bibliothécaire, mais... responsable de la communication. En retour ? « On leur permet d'avoir certains invités, du secteur de la culture, de l'éducation, du champ social... »

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Le signe OBA en rouge signalant une bibliothèque amsterdamoise.- Photo FANNY GUYOMARD

Des partenariats sous-exploités. « On aimerait que les bibliothèques se manifestent davantage sur la plateforme pass Culture », interpelle le président de la société Sébastien Cavalier (depuis remplacé par Laurence Tison-Vuillaume). Elles ne manqueront également pas de partager leurs prouesses auprès de Livres Hebdo : fguyomard@livreshebdo.fr La Bibliothèque Sorbonne Nouvelle (BSN) a, elle, le réflexe d'investir les sites Paris.fr et de la Mairie du XIIe arrondissement. Pour l'événement annuel des Nuits de la lecture, le Centre national du livre met à disposition un site dédié.

...sans s'éparpiller

D'ailleurs, pour que la population retienne facilement un événement et le bloque dans son agenda, on se rangera derrière des événements nationaux. Les Nuits de la lecture ou Biblis en folie (chaque premier week-end d'octobre et publicisé par le ministère de la Culture) deviendront peut-être un jour aussi célèbres que la Fête de la musique ? Et quand on s'associe à un partenaire, il ne faut pas oublier de le remercier, « de l'agent d'entretien à l'élu qui a soutenu le festival », conseille une bibliothécaire lors d'un atelier sur la communication lors du Congrès 2024 de l'Association des bibliothécaires de France (ABF).

S'associer aussi avec les usagers

L'aboutissement : produire les éléments de communication avec les premiers concernés, qui parleront autour d'eux de leur expérience. La bibliothèque universitaire de l'université de Reims Champagne-Ardenne (Urca) a ainsi invité des étudiants à raconter leur relation à leur BU, face caméra, dans différents espaces. Cerise sur le gâteau : adosser cette campagne à de l'éducation aux médias et à l'information. Aénor Carbain, bibliothécaire à Brétigny-sur-Orge (Essonne), confierait le montage de la vidéo aux jeunes eux-mêmes. « La population a passé le cap de l'illectronnisme. Maintenant, il faut apprendre à analyser le contenu, et à le créer, car les personnes qui ne créent pas du contenu sont en position de faiblesse. »

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Vous êtes sur le chemin de la bibliothèque, à New York.- Photo FANNY GUYOMARD

Comment s'organiser ?

Mais globalement, qui doit piloter la communication ? Une erreur pointée lors du Congrès 2024 de l'ABF : ne pas dissocier le chargé de communication et le chargé de l'action culturelle. « Communiquer seulement sur l'action culturelle peut invisibiliser, aux yeux des élus, tout ce qui se fait autour », avertit Raphaële Gilbert, chargée de mission Évolution des bibliothèques et de leurs métiers, au ministère de la Culture. Tous les membres de l'équipe doivent-ils porter la communication ? Pour la bibliothécaire-formatrice Odile Nguyen, « la communication est un métier à part entière. Je ne sais pas pourquoi on confie ça à des bibliothécaires ».

Mais tous doivent savoir promouvoir le livre auprès du public, avançait la présidente de l'ABF, Hélène Brochard, dans un entretien paru en 2022 : « Pour être bibliothécaire, il faut être bon communicant. Une énorme partie du métier repose sur la valorisation de nos services auprès des usagers, des élus et des partenaires. Il y a des formations à l'advocacy, mais c'est aussi une question de personnalité. Il ne faut pas devenir bibliothécaire si on n'a pas envie d'échanger avec les autres. »

S'adosser à la programmation culturelle...

La programmation culturelle reste une bonne vitrine des services et ressources proposés en bibliothèque. Pour faire connaître le lancement du prêt de jeux Switch, la médiathèque de Bayeux a organisé un tournoi. Mais le succès dépendra aussi de la bonne communication sur le tournoi ! Emmanuel Fille, responsable de la lecture publique de Toulon, résume : « L'action culturelle rend les documents plus vivants, plus humains. La programmation donne de la visibilité ». « Mais attention à l'épuisement des équipes et du public », pointait lors du Congrès 2024 de l'ABF Odile Nguyen, qui mentionnait sa propre expérience d'usagère dépassée par l'abondance de l'offre de sa médiathèque.

Ne pas relayer seulement des faits

À l'abondance de l'offre, répond l'abondance des canaux de communication, pour atteindre des personnes différentes. La BSN pense même à varier les hauteurs des affiches pour être visibles par tous. Facebook est en majorité fréquenté par les plus de 35 ans, Instagram par les 18-35 ans, TikTok les 16-24. Les jeunes sont trop sur leur téléphone portable ? Sophie Gimenez : « Ok, donc il faut faire en sorte que les écrans soient nos alliés. Parler avec les jeunes de BookTok, leur montrer qu'on connaît aussi et parler des livres dont ils parlent. »

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L'équipe de la médiathèque d'Amilly : Fulbert (mascotte), Sylvaine Foucré (responsable Jeunesse), Alexandre Bretel (responsable Musique et Cinéma), Émilie Basty (directrice), Camille Deyris (responsable Accueil). Absent : Bastien Jammes (responsable BD/Mangas)- Photo MÉDIATHÈQUE D'AMILLY / EMILIE BASTY

Problème : « Insta, c'est le service communication de la ville qui s'en charge », déplore un bibliothécaire. « Et le gros de la communication institutionnelle est d'un ennui mortel ! » enchaîne Émilie Basty, responsable de la médiathèque d'Amilly (Loiret). Une bonne partie de la profession - parfois parce qu'elle est bloquée par sa tutelle - n'utilise pas les codes des réseaux sociaux, et entretient une image très "chignonesque" des bibliothèques : un lieu sérieux, porteur de Culture avec un grand C. Utiliser les réseaux sociaux comme simple relais d'information sur les animations d'une structure n'a, à notre sens, aucun intérêt : pour ça, il y a l'affichage papier, les sites Internet des bibliothèques et/ou de la Ville. Utiliser un réseau social pour communiquer, c'est utiliser ses codes, ses références, son univers : jouer son jeu. » Sur leur page Facebook, les cinq bibliothécaires rivalisent de GIFs animés. « Il y a même une petite compétition sur ce point au sein de l'équipe... »

Être drôle ?

Le conseil des bibliothécaires Émilie Basty et Sylvaine Foucré : « Ne pas se prendre au sérieux, et s'autoriser à s'amuser. Le ton de notre page Facebook, avec ses délires, sa mascotte Fulbert, qui fait les bêtises à notre place et ses mèmes a permis de créer des liens avec notre public physique, rendant l'institution plus accessible. Car après tout, si les bibliothécaires s'autorisent à amuser, ça veut peut-être dire que les bibliothèques ne sont plus ce lieu un peu élitiste et poussiéreux, et que je vais trouver de la joie à les fréquenter ? Derrière la façade souvent potache de nos publications, il y a un vrai contenu : promouvoir les animations bien sûr, mais surtout partager un peu de notre quotidien et de notre métier, marquer les temps forts de l'année, remercier nos lecteurs sympas, mettre en avant nos autres activités. Nous avons déjà eu des retours de collègues nous disant "vous, vous êtes drôles, nous, on n'ose pas..." Mais osez, crévindiou ! »

Mais faut-il rester sur Facebook, Instagram et X ?

Le patron de Meta (Facebook et Instagram) a annoncé début janvier qu'il revoit à la baisse, aux États-Unis, sa politique de modération. Donc diminue la suppression des contenus haineux et entend mettre fin aux partenariats noués avec des médias pour vérifier des informations. Alors faut-il y rester ? Les bibliothécaires d'Amilly : « C'est notre seul accès aux réseaux sociaux, alors oui, on y reste. Quelles que soient nos opinions sur ses déclarations, nous appliquons la règle des bibliothèques : porter la culture sous toutes ses formes avec pluralité et neutralité. » Quant à X, où les bibliothèques universitaires sont plus présentes, le réseau acheté par le libertarien Elon Musk en 2022 fait l'objet de vagues de désabonnements massifs, au profit de Bluesky.

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